L’offre électorale qui sera proposée à nos suffrages le 30 juin a sensiblement évolué par rapport aux dernières élections législatives et aura un impact sur le paysage politique des prochaines années. Quels sont les principaux changements ? Décryptage d’Olivier Lê Van Truoc, professeur associé à Sciences Po Grenoble et fondateur d’Oïbo études Marketing et médias.

C’est un chiffre clé : le nombre de candidats en lice pour le premier tour des élections législatives du 30 juin est en baisse de 36 % par rapport à 2022, passant de 6 290 à 4 010 sur l’ensemble du territoire.

Moins de candidats

On lit souvent que ce serait la résultante de nouvelles coalitions, comme l’accord conclu à gauche pour ne présenter qu’un candidat sous la bannière Nouveau Front Populaire, le ralliement de personnalités LR tendance Ciotti au Rassemblement National, ou encore l’"arc républicain" revendiqué par la majorité présidentielle dans certaines circonscriptions. Ainsi Ensemble (majorité présidentielle) n’a investi que 445 candidats au lieu de 555 en 2022.

Ces stratégies ont indéniablement un impact sur le volume des candidatures. Mais, et on en parle moins, elles ont également une incidence sur les niveaux d’intentions de vote mesurés dans les sondages actuels. Les instituts proposent en effet aux interviewés de se déterminer par rapport à l’offre réelle de candidats de leur lieu d’inscription. Quand le Nouveau Front Populaire ou le RN sont étudiés sur la quasi-totalité du territoire, Ensemble n’est mesuré, logiquement, que dans un peu moins de 80% des circonscriptions. Son score national est donc bien mesuré mais il ne reflète probablement pas son potentiel "moyen" sur les circonscriptions où Ensemble est engagé. Il en est de même pour Les Républicains ou Reconquête !, présents dans à peine plus de la moitié des circonscriptions. Les chiffres globaux que l’on commente dans les médias reflètent la réalité du rapport de forces au niveau national. Mais les élections législatives sont aussi 577 scrutins locaux  (bien évidemment, les instituts en tiennent compte dans leurs projections en sièges).

Nuance1

Les petits partis passent leur tour et peuvent trembler

La rapidité avec laquelle les forces politiques ont dû mobiliser leurs troupes et les fonds financiers nécessaires à une campagne, quelques jours à peine après les européennes explique une grande partie de la baisse des candidatures. Et cela risque d'avoir un impact important sur la (sur)vie de petites formations.

Ainsi les partis "écologistes" (selon la nomenclature du ministère de l’intérieur) sont passés de 779 investitures à… 145. Parmi eux CAP21, le mouvement de Corinne Lepage qui présentait 250 candidats en 2022, et surtout le Parti Animaliste qui en comptait plus de 400, n’auront aucun candidat. Ce, avec des conséquences financières importantes : dès qu'un parti récolte au moins 1 % des suffrages dans 50 circonscriptions, chaque voix lui rapporte 1,64 €. Pour le Parti Animaliste par exemple, c’est une perte de subventions de l’ordre de 400 000 Euros par an. Le mouvement d’Hélène Thouy va donc faire face à un risque de disparition, alors qu’il vient de récolter plus de 2% des suffrages aux élections européennes.

Les partis "écologistes" sont passés de 779 à 145 investitures, le nombre de candidats de droite souverainiste est en chute de 73%, les régionalistes de présentent de 132 circonscriptions contre 217 en 2022

Cette dissolution subite et inattendue affecte les petites formations de toutes sortes de nuances politiques : le nombre de candidats des droites souverainistes est en chute libre de 73% (114 candidats contre 420 lors des dernières élections), les régionalistes se présentent dans 132 circonscriptions au lieu de 217, les candidatures des petits partis « divers » (inclassables, apolitiques ou catégoriels) baissent de plus de la moitié passant de 468 à 215.

Profil sociologique des candidats : du nouveau ?

En 2024, 41% des candidats sont des candidates, soit 11 points de moins que la proportion de femmes parmi les Français de 18 ans et +. Ce taux est en baisse de 3 points par rapport aux élections de 2022.

Le ratio est un peu mieux respecté au Nouveau Front Populaire et au Rassemblement National (48% de femmes).  LR investit en revanche beaucoup plus d’hommes (67%). Mais ce sont les petits partis "divers" (inclassables, divers droites, ou divers gauches) qui enregistrent le plus fort déséquilibre avec seulement 26% de candidates.La distribution des candidats par âge est restée assez constante depuis 2022, avec une moyenne de 50 ans. Mais elle diffère de la population française. Près des 2/3 des candidats (65%) a entre 30 et 64 ans, soit 16 points de plus que l’ensemble des français (la surreprésentation la plus nette se situant entre 50 et 64 ans). Les plus jeunes sont, comme les plus âgés, sous-représentés dans l’offre électorale.

En moyenne, l'âge des candidats des principales formations est assez proche (entre 47 et 49 ans), hormis ceux de Reconquête qui sont les plus âgés (52 ans en moyenne). Le parti d’Éric Zemmour compte la plus forte proportion de séniors (62% de candidats de plus de 50 ans, dont 25% de plus 65 ans). Le RN et ses alliés enregistrent le plus fort taux de candidats jeunes, 28% ayant moins de 35 ans, soit une proportion deux fois plus élevée que celle d'Ensemble.

28% des candidats RN ont moins de 35 ans, soit deux fois plus que le bloc macroniste

Les CSP+ toujours en force

Comme en 2022, les 2/3 des candidats appartiennent aux catégories "CSP+" (artisans, commerçants, cadres et professions intellectuelles supérieures, professions intermédiaires) , avec une très forte (sur)représentation des cadres et professions intellectuelles supérieures (49% des candidats, et en hausse de 4 points). A contrario, seuls 11% des investitures concernent des employés ou des ouvriers. Ces derniers ne sont d'ailleurs presque pas représentés (3% des candidats vs 12% des Français). Les inactifs sont eux aussi bien moins nombreux que dans la population globale (22% vs 43%). Il existe ainsi, mais ce n'est pas un phénomène nouveau, un fort décalage entre les structures socioprofessionnelles des candidats et de l'ensemble des Français.

CSP2

Toutes les grandes formations investissent une proportion de candidats "CSP+" significativement plus élevée que dans l'ensemble de la population. C'est notamment le cas de 78% des investitures d'Ensemble et 72% des candidats Nouveau Front Populaire et LR (contre 29% des Français). Cette surreprésentation est un peu moins marquée pour les partis d'extrême droite, le RN investissant notamment 15% de catégories "populaires" CSP - "moins" (soit beaucoup plus qu'Ensemble, et même que le NFP) , et Reconquête comptant la plus forte proportion (27%) de candidats inactifs, notamment des retraités.

Si l'on détaille les professions de la catégorie "cadres", on relève des disparités intéressantes : le Nouveau Front Populaire est le mouvement investissant le plus de professeurs du secondaire et du supérieur (17% de ses candidats), LR est pour sa part le plus représenté par les professions libérales (22% des investitures), et de manière peut-être plus inattendue, 1 candidat Ensemble sur 5 est un cadre issu de la fonction publique.

17% des candidats du Nouveau Front Populaire sont des professeurs du secondaire ou du supérieur. 22% des candidats LR sont des professions libérales

L'offre de candidats, en termes de nuances politiques, semble bien différente de ce que l'on a connu en 2022. La dissolution, de par son calendrier éclair, aura probablement un impact (peu commenté) sur la diversité démocratique de notre pays. Les baisses significatives du nombre de candidats des petits partis, donc leur moindre visibilité et à terme la baisse de leurs financements publics, représente un risque non négligeable pour leur survie.

En revanche, d'un point de vue du profil socio-démographique des candidats, on note assez peu d'évolutions entre 2022 et 2024, et toujours un écart fort entre les profils des candidats et des Français, qui tend d'ailleurs à se creuser sur le sexe-ratio et le taux de cadres. Je ne m'engagerai pas dans une réflexion pour savoir si cette distance entre caractéristiques des représentants et du corps électoral est ou non problématique, mais il est fort probable que la prochaine chambre des députés, quels que soient les résultats issus des urnes, conserve un différentiel de caractéristiques de sexe, d'âge et de niveau social proche de la précédente.

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