Sur le papier, l’union des partis de gauche s’est nouée rapidement. En réalité, les discussions sur les circonscriptions furent ardues. Deux sources ayant participé à la mise en place de cette "Nupes 2" se confient à Décideurs Magazine.

Dimanche 9 juin au soir. Emmanuel Macron annonce la dissolution de l’Assemblée nationale en prenant tout le monde par surprise. À gauche, c’est la panique, les boucles WhatsApp et Telegram chauffent, personne ne sait sur quel pied danser. Pour éviter de perdre des sièges, PS, LFI, PCF, écologistes et autres petits partis satellites n’ont pas le choix, ils doivent s’unir. Seul hic, la Nupes a explosé depuis le 7 octobre. Pour compliquer les choses, la campagne européenne a été émaillée d’insultes et de tensions.

L’initiative avortée de LFI

Chez LFI, dès le dimanche soir, l’appareil tente un coup de poker : mettre en place "en loucedé" une alliance uniquement avec les écologistes. Les stratèges du mouvement mélenchoniste contactent leurs collègues Verts, au fond du trou après le piètre score de Marie Toussaint. Ils dégainent "une offre qu’on ne peut pas refuser" : 200 circonscriptions réservées, soit deux fois plus que la Nupes, et 377 à LFI. Cette tentative d’accord bilatéral met les troupes écolos dans l’expectative. L’offre est alléchante, mais l’accepter mettrait le feu à gauche. Surtout, elle supposerait que le PS présente des candidats face à eux, gage d’une raclée quasi assurée. Autour de la secrétaire nationale Marine Tondelier, l’état-major tente de gagner du temps, de ménager la chèvre et le chou et contacte les socialistes et les communistes. Découvrant ce coup de poignard dans le dos, les deux partis sont furieux contre LFI.

Débrancher Glucksmann

Dans les premières heures suivant la dissolution, LFI a donc tenté de faire cavalier seul avec les Verts et les autres partenaires sont furibonds. Pourtant, dès le lundi après-midi, tout le monde se retrouve avec des sourires de façade au siège des écologistes. Parmi eux, les socialistes, les écologistes, les Insoumis et les communistes. D’autres mouvements plus petits tels que Génération.s, Place publique ou Gauche républicaine et socialiste (GRS) prendront le train en marche en cours de journée.

Dans les premières heures suivant la dissolution, LFI a tenté de faire cavalier seul avec les Verts

Tous ont le même objectif : "Débrancher Glucksmann invité de France 2 le lundi 10 au soir", confie notre première source qui souhaite rester anonyme (donnons-lui le nom de code de Taupe 1). Après plusieurs heures de négociations, les chefs des mouvements de gauche prennent la parole devant le siège des écologistes, encerclé de jeunes militants demandant l’union. Le sourire aux lèvres, ils annoncent la naissance d’un "Front populaire". En somme, la Nupes renaît de ses cendres. "Mais ce qu’il faut avoir à l’esprit, c’est que le lundi soir, nous n’étions d’accord sur rien, confie Taupe 1. Les seules choses actées étaient la mise en place d’une commission programme et d’une commission dédiée à l’attribution des circonscriptions."

Le lundi en fin de journée, l’essentiel est assuré : lorsque Raphaël Glucksmann prend la parole au 20H de France 2, tous les partis de gauche, y compris le PS et Place publique, sont d’accord pour négocier une nouvelle alliance. Le troisième homme du scrutin européen, premier à gauche avec 13,8 %, appelle à "ne pas refaire la Nupes" et clame "l’inversion du rapport de force". Mais dans son dos, ses amis socialistes ont fait l’inverse. Voici l’intellectuel-candidat renvoyé à ses chères études et exclu des combines d’appareil.

Atmosphère irrespirable

Dès le mardi matin, les discussions entre partenaires commencent pour se partager les 577 circonscriptions au siège de Place publique. Taupe 2 y a pris part. Le décor qui a abrité des négociations ardues pendant trois jours et trois nuits est spartiate : "Nous étions enfermés dans une petite pièce de 5 mètres sur 5 avec des sièges en plastique inconfortables, des tables en U, une mauvaise aération. Plus les heures passaient, plus l’atmosphère devenait irrespirable au sens propre comme figuré", témoigne le négociateur. En permanence, chaque bloc (LFI, PS, Les écologistes et le PCF) avait trois représentants dans la salle et les négociateurs se relayaient régulièrement avec la ferme intention de ne rien lâcher et d’avoir toujours au moins un membre à peu près affuté.

Les négociateurs sont enfermés dans une petite pièce de 5 mètres sur 5 avec une mauvaise aération. Plus les heures passent, plus l'atmosphère devient irrespirable au sens propre comme figuré

Pour se reposer, les délégations convoitaient avec avidité "un canapé gris malodorant situé sur le palier de la salle de négo", se remémore Taupe 2. Évidemment, dès qu’un négociateur s’apprête à faire une sieste réparatrice, il est réveillé par ses "alliés". Ambiance…

Sur ce palier, traîne encore des éléments de la campagne de Glucksmann. Aux murs, le calendrier de campagne est peint, des post-it retracent les mois de déplacements et de réunions pour les européennes. Le lieu était selon notre témoin "un lieu où débriefer, recharger ses batteries dans tous les sens du terme puisqu’au fil des négos c’était là que nous rechargions nos téléphones et nos ordis". Peu de prises, beaucoup d’appareils et une inévitable "guerre des prises". Un conflit dans le conflit car, très vite, les choses se tendent.

Les Insoumis font traîner les négociations

Chaque force a ses buts de guerre : les écologistes et les communistes se contentant d’un groupe parlementaire, la lutte fait rage entre socialistes et Insoumis sur le rôle de force motrice de l’union. "Dès le départ, les Insoumis ont demandé 300 circonscriptions, soit plus de la moitié des sièges, mettant le PS au second rang en lui en accordant seulement 110. Autant dire que le PS n’a pas aimé", assène Taupe 2.

Les négociateurs insoumis menés par le coordinateur national Manuel Bompard et le député du Val-d’Oise Paul Vannier misent alors sur la technique suivante : faire traîner au maximum les négociations, ne rien céder jusqu’à la date limite du dépôt de candidature puis forcer les partenaires à se coucher au dernier moment sous peine de faire voler l’accord en éclat. Une attitude "rationnelle" puisqu’en cas d’absence d’accord les Insoumis peuvent se reposer sur des circonscriptions en béton, notamment dans les quartiers populaires.

"Les négociateurs de LFI se sont comportés comme des teignes", constate Taupe 2 qui explique qu’ils sont venus un moment avec un négociateur patibulaire et totalement inconnu des autres partenaires. Le mystère demeure toujours, même si tout indique que c’était un membre du POI (Parti ouvrier international). Ce petit parti d’extrême gauche soutient LFI et possède un député, Jérôme Legavre, élu en Seine-Saint-Denis. Il lorgne un second siège.

"Pour Jouer la montre, les Insoumis demandaient très souvent des suspensions de séance. Leur délégation s’isolait dans des coins discrets, des couloirs ou devant le bâtiment pour passer des appels." Les négociateurs des "partis adverses", sont presque tous unanimes, Jean-Luc Mélenchon était au bout du fil. Pourtant sur TF1, il avait juré avec des trémolos dans la voix qu’il ne s’occupait pas de ces petites cuisines d’appareil.

Les négociateurs sont unanimes : Jean-Luc Mélenchon a participé aux négociations en sous-main

Le PS sort "l’arme atomique"

Tic tac, tic tac, l’horloge tourne, les Insoumis ne cèdent rien. Le jeudi 13 juin, vers midi, le chef de file des négociateurs socialistes, Pierre Jouvet (fraîchement élu eurodéputé), sort l’arme atomique. Il demande aux premiers secrétaires de chaque département de trouver des candidats dans les 577 circonscriptions. Le message envoyé est clair : face à l’intransigeance des Insoumis, le PS partira seul. L’état-major du parti à la rose s’empresse de faire fuiter l’info dans la presse qui s’agite.

Le 13 juin en début d’après-midi tout semble en arrêt. La commission programme est également au point mort puisque les Insoumis ne souhaitent pas mentionner la question de l’antisémitisme dans le programme commun, sauf s’il mentionne l’islamophobie. Ils refusent également de qualifier le Hamas de terroriste au grand désarroi des négociateurs PS et PCF qui ne veulent pas capituler sur ces sujets.

Finalement, les Insoumis cèdent peu à peu 250 circonscriptions, puis 229.  "Dans la nuit de mercredi à jeudi, nous avons fini par trouver un accord volumétrique définitif, LFI prend 229 circos, le PS et ses alliés 175 soit 105 de plus que la Nupes". Tout est bien qui finit bien ? Pas vraiment. Reste à savoir quelle force politique obtiendra telle ou telle circonscription. Au cœur de la nuit, les Insoumis la jouent grand seigneur et disent sourire aux lèvres : "Allons-nous coucher, on reprend demain".

Le jeudi 13 juin vers midi, Pierre Jouvet, négociateur socialiste, demande aux premiers secrétaires de chaque département de trouver des candidats PS dans les 577 circonscriptions

La dernière entourloupe de LFI

Sauf que… les troupes de Jean-Luc Mélenchon lancent un dernier coup de Trafalgar. "Ils ont retenté une négociation bilatérale avec les écologistes pour refourguer aux socialistes une majorité de circonscriptions ingagnables dans la dernière ligne droite", déplore notre source. Une fois encore, les écologistes éventent l’initiative, le PS se met en colère, fait capoter la manœuvre. Au forceps un accord est conclu : le Nouveau Front Populaire.

Mais derrière les sourires, les épées sont déjà tirées. Si l’on se fie au déroulement des négociations, elles ne sont jamais rentrées dans les fourreaux.

Lucas Jakubowicz

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