Contrairement à ses concurrents, le gouvernement tente de rappeler que les élections européennes sont avant tout un scrutin européen et non national. Jean-Noël Barrot, ministre délégué chargé de l'Europe, revient sur les enjeux de ce vote à haut risque, alors que l’extrême droite est au plus haut dans les sondages.

Décideurs. Les Français vous semblent-ils percevoir les enjeux des élections européennes ?

Jean-Noël Barrot. En 2019, les élections européennes ont été marquées par une augmentation du taux de participation. Je souhaite que cela soit le cas une nouvelle fois en 2024 car ce sont des élections majeures dans un contexte particulièrement grave, marqué par le retour de la guerre sur notre continent. Ce sont sans doute les plus importantes depuis que le Parlement européen est élu au suffrage universel, soit depuis 1979. Nous devons avoir conscience de ce qui se joue pour notre sécurité, nos économies et notre liberté.

Que faites-vous pour limiter l’abstention ?

Les élections européennes sont un scrutin proportionnel à un tour. Chaque voix compte. C’est pourquoi l’ensemble du gouvernement est mobilisé pour informer les Français sur les dates et les modalités de l’élection, à travers une campagne de communication dédiée et des partenariats inédits avec les plateformes ou encore avec l’influenceur César Culture G. Nous facilitons également l’accès de nos concitoyens au vote avec, pour la première fois, une dématérialisation des procurations. Il n’est désormais plus nécessaire de passer par un commissariat.

Certains partis tentent de faire de ce scrutin un vote national. Ils appellent leur électorat à se déplacer pour désavouer Emmanuel Macron. Comment percevez-vous cette stratégie ?

C’est un scrutin européen qui va trancher des questions vitales pour l’avenir de la France et des Français. Je pense aux questions de sécurité, de démocratie, de préservation de la planète ou encore de prospérité. Il y a des risques de décrochage sur certains sujets qui ne peuvent être résolus au niveau national. C’est pourquoi il faut bien choisir les représentants qui porteront notre voix pendant cinq ans.

L’extrême droite a fait une percée en Europe aux niveaux nationaux et se trouve au plus haut dans les sondages pour l’élection européenne. Quelles seraient les conséquences sur l’UE si les résultats allaient dans ce sens ?

Malheureusement, si les députés européens du Rassemblement national se comportent comme ils l’ont fait durant la mandature qui s’achève, ils ne serviront à rien. Jordan Bardella et ses collègues n’ont quasiment pas déposé d’amendements, ni rédigé de rapports. Par leur inaction, ils ont déshonoré le mandat que leur avaient confié les électeurs. Quand on s’oppose à une politique, on dépose des amendements. C’est ce qui se passe à l’Assemblée nationale, c’est ce que devrait faire un groupe d’opposition au Parlement européen.

"Le RN prétend pouvoir obtenir tous les avantages de l’UE sans fournir d’efforts ou de contreparties"

L’Europe est-elle compatible avec cette montée des nationalistes qui ne veulent pas d’une Europe intégrée ?

Du discours du RN ont disparu un certain nombre de propositions qui révélaient explicitement leur intention, à savoir : sortir de l’Union européenne. À la suite du Brexit, l’attachement des Français à l’UE a progressé. Même si Marine Le Pen a applaudi le Brexit des deux mains, elle a décidé d’effacer un certain nombre de ses propositions radicales. Mais le fond de sa pensée et les propositions résiduelles du programme du RN ne nous mèneraient ni plus ni moins que vers un Frexit en pièces détachées. Ce parti prétend pouvoir obtenir tous les avantages de l’UE sans fournir d’efforts ou de contreparties. Ils mentent aux Français, on ne peut pas entrer dans un club sans en respecter les règles.

Fin avril, Emmanuel Macron a prononcé un discours de la Sorbonne 2. Quelle suite faut-il en attendre ?

Le président de la République a appelé la France à accélérer sur trois volets: la création d’une "Europe puissance", capable de mettre la Russie en échec et de renforcer nos partenariats ; la construction d’une Europe de prospérité, qui produit plus et mieux et investit dans les secteurs d’avenir ; le développement d’une Europe humaniste, vigilante aux ingérences et prête à défendre sa conception de la liberté et ses valeurs.

Quelles sont vos ambitions pour l’Europe ? Quels sujets allez-vous pousser lors de la prochaine mandature ?

Comme le président de la République l’a rappelé à la Sorbonne, nous poursuivrons notre projet d’une "Europe puissance", plus souveraine et plus prospère, en partant à la conquête de son autonomie stratégique dans des domaines où elle a accumulé une dépendance critique. Je pense à l’informatique quantique ou aux biotechnologies. Elle doit faire usage des leviers que sont sa taille et la puissance de son marché intérieur. L’Europe peut aussi être plus forte en matière de défense, en se dotant de moyens permettant de se prémunir d’assauts de puissances impérialistes qui veulent faire échouer le modèle démocratique européen. En matière de défense, cela suppose par exemple une augmentation des achats conjoints et un renforcement de notre base industrielle et technologique européenne.

"L’Europe peut être plus forte en matière de défense, en se dotant de moyens permettant de se prémunir d’assauts de puissances impérialistes qui veulent faire échouer le modèle démocratique européen"

Cela date-t-il de la guerre en Ukraine ?

Non, puisqu’Emmanuel Macron en parlait déjà dans son discours de la Sorbonne en 2017. La guerre en Ukraine est un catalyseur.

Et sur la technologie, l’Europe avance-t-elle vraiment ?

Oui. On le voit bien avec Mistral AI en France ou Aleph Alpha en Allemagne : nous avons des champions européens d’envergure mondiale, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle. L’émergence de ce type d’entreprises est un phénomène nouveau dans un monde où les BigTech sont des géants chinois ou américains. Quelque chose se passe en Europe, notamment grâce à notre soutien à la politique industrielle.

Le risque d’ingérence étrangère est-il élevé pour les élections européennes ?

Oui. Nous sommes chaque semaine les cibles des manœuvres de propagande prorusse. Nous avons déjà déploré de fausses nouvelles sur la présence de soldats français en Ukraine, des détournements du site du ministère des Armées qui lançait un faux appel pour combattre en Ukraine ou du site du ministère de l’Intérieur qui annonçait que les procédures d’accueil des réfugiés ukrainiens allaient se durcir. Sans parler des faux articles sur l’annulation de nuitées d’hôtels en France en raison du contexte. Tous ces événements sont autant de fake news propagées par des agents russes ou leurs relais. Nous avons mis en place un dispositif renforcé autour de l’opérateur Viginum, créé sous impulsion du président de la République et spécialisé dans l’expertise pour détecter des manœuvres de propagande. À l’échelle européenne, nous avons aussi obtenu des plateformes qu’elles se conforment à un code de conduite durant toute la durée des élections. Mais la meilleure défense reste l’esprit critique de chacun d’entre nous. Dans ces périodes troubles, nous devons être attentifs aux sources d’information que nous consultons.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

Crédit photo : MEAE, Jonathan.Sarago

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