La campagne de Valérie Hayer peine à décoller. Le discours d’Emmanuel Macron à la Sorbonne suffira-t-il à changer la donne ? Pas sûr. Désormais, le macronisme s’adresse à un socle solide mais peu représentatif de la population.
Européennes, un scrutin périlleux pour la Macronie
Ce 25 avril, l’heure est au soulagement dans le camp de la majorité. Le président de la République s’est enfin impliqué dans la campagne européenne. Objectif : donner un coup de boost à la tête de liste Valérie Hayer qui peine à percer dans les sondages. Alors que la campagne s’axe surtout sur des sujets nationaux, Emmanuel Macron a eu le mérite de parler… de l’Europe !
Retour à la Sorbonne
Comme en septembre 2017, le Président a choisi la Sorbonne pour prononcer un long discours sur l’avenir du Vieux Continent. Sans jamais évoquer la politique intérieure ou la campagne, il s’est attaché à montrer son attachement à l’Union européenne, ses ambitions pour les années à venir et les menaces existentielles. Selon lui, "les démocraties libérales sont de plus en plus contestées" au point que "notre Europe peut mourir et cela dépend uniquement de nos choix". Même s’il ne le dit pas ouvertement, seule Renaissance serait à même de porter une réponse qui ne soit pas "dans la timidité mais dans l’audace".
L’occasion pour lui d’esquisser sa vision de l’UE à moyen terme et de dérouler plusieurs mesures. Si certaines, telles l’Europe de la défense ou une meilleure protection des frontières, ont tout du serpent de mer, d’autres sont plus concrètes. Parmi elles, l’approfondissement des programmes en faveur de la jeunesse, l’enseignement de notre héritage humaniste … Devant un public plutôt acquis à sa cause, Emmanuel Macron a également émis le souhait de faire des Vingt-Sept le premier investisseur dans les "secteurs stratégiques de demain". Parmi eux, l’IA, l’informatique quantique, l’espace, la biotechnologie ou encore les nouvelles énergies. Curieusement, il ne s’est guère attardé sur son bilan européen pourtant loin d’être négligeable.
Raison avancée par l’Élysée, il s’agissait d’un discours voulant prendre de la hauteur et non d’une prise de parole à des fins électorales. Pourtant, le but était bel et bien de "réveiller" les électeurs attachés à la construction européenne qui ne sont pas encore entrés dans la campagne ou qui envisagent de voter pour d’autres listes, comme celle menée par Raphaël Glucksmann. Malgré toute sa verve, rien n’indique que le discours marque le début du renouveau. Par rapport au scrutin de 2019, la situation s’est détériorée pour son camp.
Usure du pouvoir
"En 2019, Emmanuel Macron était plutôt en position de force, rappelle Philippe Moreau-Chevrolet, communicant et enseignant à Sciences Po Paris. Il s’était plutôt bien sorti de la crise des gilets jaunes avec le grand débat, incarnait l’ordre, l’engagement pro-européen. Surtout, il était au pouvoir depuis peu de temps et bénéficiait encore de l’effet nouveauté." Ce qui n’est plus le cas puisque le macronisme souffre d’un mal classique, l’usure du pouvoir.
"Aux européennes de 2004, l'UMP a fait 16%, en 2014 le PS était à 13,9%. Pour l'instant Valérie Hayer est au niveau d'un parti au pouvoir en petite forme"
Lors des élections 2004, c’est la droite d’un Jacques Chirac en fin de règne qui en a fait les frais avec un score de 16 %. En 2014, l’impopularité de François Hollande a eu de graves répercussions sur la liste PS menée par Jean-Christophe Cambadélis qui a obtenu un piteux 13,9 %. Avec une fourchette qui oscille entre 16 % et 19 %, la majorité présidentielle, bien qu’en retrait par rapport aux 22 % recueillis en 2019, « fait des scores similaires aux anciens grands partis en petite forme », diagnostique Frédéric Dabi, directeur général de l’Ifop.
Détérioration du capital politique
C’est mathématique, plus le temps passe, plus le risque de froisser des électeurs augmente. Depuis son second quinquennat, le Président a pris des positions et fait voter des textes qui ont augmenté la défiance à l’égard de son mouvement. La réforme des retraites a heurté une majorité de Français, notamment les cadres jusque-là dévoués. La loi immigration a réussi l’exploit de lui aliéner son aile gauche, laquelle lui reproche de reprendre des idées de Jean-Marie Le Pen, mais aussi son aile droite qui le fustige pour sa duplicité consistant à laisser le Conseil constitutionnel censurer les aspects les plus « durs ». À cela s’ajoutent des propos maladroits en soutien à Gérard Depardieu en décembre.
Un socle fidèle mais restreint
Arithmétiquement, le camp présidentiel peut se consoler : il lui reste une base acquise. D’après les études de l’Ifop, 83 % des électeurs du bloc macroniste seraient prêts à renouveler leur soutien le 9 juin, ce qui pourrait limiter l’hémorragie vers les listes PS ou LR.
Si les électeurs sont là, force est de constater qu’ils ne représentent qu’une fraction de la population française. Une fraction peu encline à l’abstention, certes, mais très peu représentative de la réalité du pays. "Ce n’est pas une caricature que de dire que le macronisme est devenu le parti des boomers riches", avance "sans provocation aucune" Philippe Moreau-Chevrolet. De fait, d’après les données de l’Ifop, Valérie Hayer est créditée de 30 % des intentions de vote chez les plus de 65 ans et, si l’on isole les plus de 70 ans, c’est encore plus élevé. L’eurodéputée se maintient également chez les cadres et les professions intellectuelles et supérieures (23 %).
En revanche, le macronisme est en voie de disparition dans les catégories populaires et moyennes où, sans être dominant, il pouvait compter sur un petit socle. Désormais, cette sensibilité politique est sous la barre de 10 % chez les ouvriers, les employés ou les professions intermédiaires. Pire encore, elle est à 11 % chez les 35-49 ans, soit le gros de la population active et à 4 % chez les moins de 25 ans (contre 17 % il y’a cinq ans).
"Faire le plein chez les CSP+ et les seniors permet d'obtenir autour de 20% et d'accéder à un second tour de présidentielle où il est plus simple de rassembler"
Difficile d’incarner l’avenir, l’espérance, l’audace et l’esprit de réforme lorsque le gros des troupes est constitué de têtes grisonnantes à la panse bien remplie. Fin observateur de la sémantique politique, Philippe Moreau-Chevrolet observe une évolution du traitement de la jeunesse. "Malgré la jeunesse de Gabriel Attal, les moins de 30 ans sont presque toujours dépeints de façon négative : problèmes de drogue, de violence, addiction à TikTok ou aux jeux vidéo… Bref, toute une collection de clichés rappelant la vieille droite", constate Philippe Moreau-Chevrolet. Aux européennes, cela pourrait suffire à "sauver les meubles" pour reprendre la formule de Frédéric Dabi. Mais ensuite ?
Penser à l’après
Comme tous les autres partis, le bloc macroniste pense déjà à 2027. "Dans cette optique, on peut se demander si sa volonté est vraiment d’élargir, de repartir à la conquête des classes moyennes et de la jeunesse", pointe l’enseignant pour qui "faire le plein chez les retraités et les CSP+ permet d’obtenir autour de 20 % et d’accéder au second tour où il est plus simple de rassembler. François Fillon a failli réussir en 2017 malgré les affaires qui le poursuivaient". Pour Philippe Moreau-Chevrolet, cette "stratégie cynique" est également celle d’un Jean-Luc Mélenchon qui compte sur la jeunesse et les quartiers populaires pour conforter sa place de seul candidat de gauche à accéder au second tour.
Macronisme et mélenchonisme ont donc un point commun durant les européennes : fidéliser un noyau dur qui servira à se hisser au second tour face au RN en 2027. Un jeu dangereux qui laisse à l’extrême droite le plus beau cadeau : la possibilité de ratisser large, ce que Jordan Bardella ne se prive pas de faire pour le moment.
Lucas Jakubowicz