Le député de la Somme et le secrétaire national du parti communiste partagent de très nombreux points communs. Notamment celui d’être admirés par leurs ennemis et combattus par leurs amis.

Si Cadet Roussel a trois maisons, Fabien Roussel a un sosie. Ou du moins une personnalité politique qui lui ressemble de manière troublante : François Ruffin.

La gauche périphérique

Premier point commun entre les députés : tous deux ont été élus en 2017 puis réélus en 2022 dans des circonscriptions situées dans la "France périphérique" pour reprendre le terme popularisé par le géographe Christophe Guilluy. L’ancien journaliste fondateur de Fakir est implanté dans la première circonscription de la Somme qui comprend une partie de la commune d’Amiens ainsi que plusieurs dizaines de villes et de villages symboles d’une France enclavée qui souffre d’un manque de services publics, d’emplois, de perspectives. Un profil sociologique similaire à la vingtième du Nord, fief de Fabien Roussel détenu par les communistes depuis 1962.

En examinant les résultats de la dernière présidentielle, en rencontrant et en écoutant leurs électeurs, les deux députés se sont rendu compte de l’impasse dans laquelle se fourvoie la gauche française incarnée par LFI puis par la Nupes. Si la ligne communautariste, l’éloge de la "créolisation", les attaques contre la police, la prise en compte - dans les discours au moins - des enjeux écologistes et féministes ou encore le recours à l’écriture inclusive ont permis de séduire les banlieues et le centre des grandes métropoles, une partie de la population a été sacrifiée : leurs électeurs.

Les oubliés du front de la Somme

Désormais, une grande partie des Français ne résidant ni dans les banlieues métissées ni dans les zones étudiantes et gentrifiées ne se reconnaît plus dans la gauche. Scrutins après scrutins, elle se tourne de plus en plus vers Marine Le Pen. Quelques exemples sont particulièrement révélateurs. À Flixecourt, au cœur de la circonscription picarde du journaliste engagé, Marine Le Pen a obtenu 44,29 % au premier tour de la présidentielle contre 15,46 % pour Jean-Luc Mélenchon. Féru de football, François Ruffin avait fait jaser au début de la précédente législature en exhibant dans l’hémicycle un maillot de football d’un club amateur dont le sponsor était le bar tabac Le Salutaire situé à Liercourt, petit village de 350 habitants localisé dans la circonscription voisine. La candidate RN y tutoie les 40 % contre 15 % pour l’Insoumis. Au quotidien, François Ruffin côtoie des citoyens démunis, en demande de plus de social, de plus de gauche. Mais qui déposent un bulletin Le Pen dans l’urne. Un paradoxe auquel est confronté son collègue communiste élu dans un département qui, hormis l’agglomération lilloise, est devenu le principal bastion de l’extrême droite. Que faire pour reconquérir ces électeurs ?

Flixecourt

Vive le social !

Le communiste et l’Insoumis proposent la même méthode. Placer au centre du jeu les questions sociales qui parlent à tous et, de facto, mettre la sourdine sur les sujets sociétaux prisés par la nouvelle gauche intersectionnelle diplômée et urbaine pour se concentrer sur les plus démunis présents sur tout le territoire. Une technique qui leur a permis une réélection aisée en 2022.

François Ruffin et Fabien Roussel font le même constat : l’idéologie portée par la Nupes ne mène qu’à l’impasse. Preuve en est, un tiers des élus de gauche sont désormais en Ile-de-France, la proportion étant de 40 % chez LFI. Dès l’issue des législatives, les deux hommes ont sonné l’alarme en utilisant des termes analogues. Dans Le Monde du 22 juin, François Ruffin prévient les siens : "On ne doit pas devenir la gauche des métropoles contre la droite et l’extrême droite des bourgs et des champs. Après la présidentielle, au vu des résultats d’un Mélenchon très fort dans les quartiers, dans les métropoles, mais plus en difficulté dans la France périphérique des gilets jaunes, j’interrogeais : on va les rechercher ou on les abandonne au RN ? Comment devenir majoritaires sans eux ?" Deux jours plus tôt Fabien Roussel expliquait sur BFM que son bord ne parlait plus "qu’à une partie de la France, celle des villes et non de la ruralité", ce qui le condamnait à un "plafond de verre".

La droite adore

Du côté de la droite et du centre, on applaudit des deux mains ces deux élus ancrés fermement à gauche mais condamnant tout ce que les électeurs RN, LR et dans une moindre mesure LREM exècrent : le "wokisme", l’accent mis sur les minorités, l’intersectionnalité des luttes importée des campus américains, l’écologie punitive... Le Picard et le Chti obtiennent une couverture favorable dans Le Figaro, Valeurs actuelles, Europe 1 ou CNews. Dans leur camp en revanche, on ne pardonne pas leur déviance idéologique ou plutôt leur capacité à mettre en avant une vérité que certains ne veulent ou ne peuvent pas voir : la gauche se cornérise.

Châtié par les siens

Le communiste avait fait l’objet d’attaques en meute des Insoumis et de l’aile radicale d’EELV incarnée par Sandrine Rousseau durant la présidentielle et les jours qui ont suivi le premier tour ? Désormais, c’est François Ruffin qui est la cible de balles décochées par les siens qui recourent à une vieille ficelle prisée par l’extrême gauche : le procès en dérive droitière.

Le député de la Somme devient peu à peu "tricard" dans son propre groupe parlementaire

Dans les miradors se trouvent les deux principaux lieutenants de Jean-Luc Mélenchon. Le député de Seine-Saint-Denis et président de la commission des Finances Éric Coquerel est le grand architecte du virage idéologique de LFI. Logiquement, il ne mache pas ses mots contre son collègue accusé dans L’Obs de faire du "mauvais Guilluy". "Ce qui lui pose un problème, c’est que LFI porte des sujets qui peuvent chagriner ses électeurs : la lutte contre les violences policières ou contre l’islamophobie." Même son de cloche du côté de Manuel Bompard, véritable "commissaire politique" du parti qui a hérité de la circonscription marseillaise du Patron et a été propulsé sans élection "coordinateur" de LFI en décembre. Dans Le Monde il sort lui aussi la sulfateuse : "Ruffin dit, en gros, qu’on en a trop fait sur les musulmans et les flics et il nous rend responsable du décrochage de la gauche alors que c’est le fait du mandat de Hollande."

Les relations semblent également tendues avec la plupart de ses collègues du groupe parlementaire LFI, en grande partie composé de jeunes élus redevables à Jean-Luc Mélenchon, que les accords de la Nupes ont parachuté avec succès dans des circonscriptions de banlieues ou de grandes villes. Fin connaisseur des arcanes insoumises, Hadrien Mathoux, journaliste à Marianne, révèle par exemple que le Picard se fait quasi systématiquement "rembarrer" dès qu’il propose une initiative sur le fil Telegram du groupe. Son article consacré à François Ruffin en novembre montre également que, derrière cette ostracisation, se cache le vieux chef "avec qui la fracture est consommée et les relations presque inexistantes, ses critiques stratégiques sont très mal passées".

Quel futur ?

Dès lors, difficile de prévoir l’avenir de François Ruffin qui en juin n’a pas exclu de se présenter en 2027. Quel sera son rôle à moyen terme ? Celui de député tricard et isolé ? Celui de poil à gratter ? De visionnaire qui a eu raison avant les autres ? Sera-t-il celui qui réalisera la synthèse entre les électeurs conquis et les électeurs perdus ? Seule certitude, en cas de candidature, il risque de croiser sur la route son "sosie Roussel". Entre le candidat qui "veut d’la joie" et le chantre des "jours heureux", une lutte pourrait germer malgré les convergences. Car, comme le disait si bien Jacques Chirac, "on ne peut pas mettre deux crocodiles dans le même marigot".

Lucas Jakubowicz

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