L’Euro de football bat son plein en Allemagne. L’occasion de mettre en lumière trois jeunes personnalités qui, en dehors des grands médias, apportent une expertise sur le sport le plus populaire du monde.

En France, les amateurs de football sont longtemps restés sur leur faim. Par rapport à d’autres pays, ce sport est globalement délaissé par les grands médias. Prétexte ? Il serait trop populaire pour valoir la peine d’être bien analysé. Pour l’essentiel, la presse spécialisée se contente de résumés de matchs, d’actualité chaude et d’interviews où la langue de bois est érigée en règle d’or. Sur le web, c’est pire, une multitude de sites copient-collent les mêmes informations avec des titres "putaclics", des fautes d’orthographe et une valeur ajoutée faible, voire inexistante. Pourtant, le football est un fait social dans lequel se mêlent sociologie, histoire, économie, finance, droit, psychologie. Il existe une vraie demande de contenu de qualité. En dehors des médias classiques, quatre jeunes créateurs rivalisent de créativité et de travail pour contenter les plus exigeants.

Wiloo, Sciences Po appliqué au football

Si une personne peut tordre le cou au cliché assimilant le football à « un sport de beauf », c’est bien Wiloo. Ce Lyonnais d’origine, diplômé de Sciences Po Paris en 2017, a lancé sa propre chaîne dès l’obtention de son diplôme.

Véritable stakhanoviste, ce créateur de contenu basé à Amsterdam livre environ une vidéo par jour. Il se démarque notamment par son analyse des matchs dont il décortique la technique à l’aide de schémas et de nombreuses statistiques. Travaillant en collaboration avec des spécialistes de championnats peu mis en avant, il fait connaître à sa communauté des joueurs sous les radars qui ont tout pour devenir grands. Pour l’Euro, il a notamment lancé sa série "Eurotour" dans laquelle il analyse les différentes sélections, leur histoire, leurs compositions, leurs résultats probables. Les spectateurs apprécient notamment ses digressions culturelles (les raisons de la passion hongroise pour la tactique, l’impact de l’immigration en Allemagne sur les sélections d’Europe de l’Est…).

Les mauvaises langues diront qu’il a copié son concept sur ce qui se faisait déjà dans les pays anglo-saxons. D’autres argueront que son travail est trop "Sciences Po" à savoir rigoureux, mais dépassionné suivant le traditionnel plan thèse-antithèse-synthèse. Il apporte pourtant un éclairage propre, net et sans fioritures. Depuis peu, Wiloo a lancé un nouveau format plus ludique (la draft) avec le créateur de contenu canado-sénagalais Stan.

Colinterview, le confesseur

Dans un registre différent, impossible de ne pas mentionner Colin Dicanot, plus connu sous le pseudonyme de Colinterview. Dans son studio situé en Seine-et-Marne, ce Martiniquais d’origine, formé au journalisme aux États-Unis, réussit le tour de faire ce que bon nombre de confrères de journaux plus huppés ne parviennent pas. Son exploit ? Pousser les acteurs du monde du football à se confier.

Face à des journalistes, aveuglés par les flashs, entourés par des communicants, mis sous pression, les footballeurs sont peu loquaces et se contentent du service minimum : sujet-verbe-complément. Ce qui explique pourquoi le grand public prend souvent les sportifs pour des imbéciles au QI peu développé. Pourtant, les athlètes de haut niveau ne correspondent guère au cliché. Ils voyagent beaucoup, sont confrontés à d’autres cultures, deviennent autonomes tôt, doivent développer une réelle discipline pour arriver au sommet et y rester. De leur enfance à leur vie de star, en passant par leurs coups durs et leurs plus beaux souvenirs, ils ont beaucoup à partager.

Colin Dicanot montre que les sportifs de haut niveau ne correspondent pas aux clichés

Colin Dicanot parvient à les rassurer, les mettre en confiance et les pousser à se confier dans de longs entretiens pouvant dépasser une heure. Pour cela, il fait preuve d’énormément d’empathie et prépare longuement ses interviews dans lesquelles rien n’est laissé au hasard. Grâce à lui, on découvre des joueurs étrangers que personne ne soupçonnait de parler aussi bien la langue de Molière (par exemple les internationaux allemands Kevin Trapp et Thilo Kehrer passés par le PSG). Certains se livrent pour la première fois sur des épisodes délicats qu’ils avaient toujours gardés pour eux mais qu’un jeune interviewer fait sortir sur sa chaîne. Parmi eux, les raisons de la venue de Bafétimbi Gomis à Marseille ou l’attitude de Lucas Digne durant les attentats de Barcelone d’août 2017, épisode tragique où il a été amené à secourir des victimes sur place. Colin Dicanot donne également la parole à des joueurs retraités ou à des journalistes sportifs comme Alexandre Ruiz ou Grégoire Margotton.

Romain Molina, Bazooka et scalpel

Si Colin Dicanot fait souffler un vent d’air frais sur le monde du football, ce n’est pas vraiment le cas du journaliste d’investigation Romain Molina. Basé dans le sud de l’Espagne, le trentenaire originaire du Nord-Isère a développé un réseau d’informateurs impressionnant dans de nombreux clubs. Ce qui lui permet de connaître mieux que personne les magouilles d’agents, les micmacs financiers, les affaires de corruption, l’incompétence de certains dirigeants. Il constitue des dossiers en béton armé que son indépendance totale lui permet d’étaler sur la place publique. Si le fond apporte une immense plus-value, le journaliste prend un malin plaisir à négliger la forme. Il se filme de son canapé, vêtu de tee-shirts ringards ou de maillots de foot vintage et interrompt ses diatribes pour boire de l’eau dans une bouteille en plastique ou vulgariser des montages financiers sur une ardoise…

Grâce à son réseau d'informateur, Romain Molina connaît mieux que personne les magouilles d'agents, les micmacs financiers, les affaires de corruption, l'incompétence de certains dirigeants

Romain Molina n’est pas qu’un simple Youtubeur, c’est aussi un journaliste d’investigation doté d’une belle renommée. Parce qu’il a révélé au grand public les copinages et l’arrière-cuisine du foot hexagonal, il n’est guère apprécié de la presse française qui le boycotte quelque peu. En revanche, ses enquêtes sont à découvrir dans les plus grands médias internationaux tels que The Guardian, The New York Times, BBC Sport, Le Temps ou encore le site norvégien Josimar.

Depuis quelques années, Romain Molina est parti en croisade contre la pédocriminalité dans le sport. Ses enquêtes et ses vidéos ont permis de mettre à jour des réseaux de pédophilie dans les fédérations haïtienne ou gabonaise de football, la fédération malienne de basket-ball... C’est lui également qui, dans un article du New York Times, a révélé les dysfonctionnements de la Fédération française de football, entraînant le départ de son président Jean-Noël Le Graët.

Sur son temps libre, le journaliste joue au basket-ball, partage sa passion pour les petites équipes en analysant des matchs tels que Comores-Tanzanie, Pakistan-Iraq ou le championnat algérien. Malgré son agenda surchargé, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le football ou le sport en général. Dernier en date, Le livre noir des Jeux olympiques paru aux éditions Exuvie.

Lucas Jakubowicz

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