L’État a défini la feuille de route du futur PDG de l’énergéticien : contribuer à la souveraineté énergétique de la France. Le nouveau patron va devoir être sur tous les fronts, notamment pour relancer la production nucléaire mais aussi pour limiter la dette du groupe qui pourrait atteindre les 60 milliards d’euros cette année.

Prendre la tête d’un groupe renationalisé, très endetté, fragilisé par la hausse des prix de l’énergie, en retard dans les renouvelables et qui fait face à un mur d’investissements… Les candidats ne se sont pas bousculés au portillon pour occuper la direction d’EDF. Après plusieurs semaines de suspense, c’est finalement le nom de Luc Rémont que l’État a avancé en septembre pour succéder à Jean-Bernard Lévy. Le quinquagénaire, adoubé fin octobre par le Parlement et qui prendra ses fonctions mi-novembre, devra répondre à de multiples défis.

Alors que la renationalisation du groupe est en marche, l’État trace la feuille de route du nouveau PDG : participer à l’indépendance énergétique de la France. Pour ce faire, le groupe est invité à produire davantage grâce au nucléaire en redémarrant des réacteurs et en lançant des EPR. Le tout en faisant face à une concurrence toujours plus vive et en respectant le plafonnement des prix de l’énergie imposé par le gouvernement pour garantir un minimum de paix sociale en pleine crise énergétique.

Comme si cela ne suffisait pas, l’entreprise pourrait également avoir à se réformer. De quoi faire monter rapidement au créneau les syndicats, vent debout contre le dernier projet de réforme de ce type – Hercule – enterré en 2021. Autant dire que Luc Rémont va devoir se montrer capable de résoudre la quadrature du cercle.

La réalité des chiffres

Plutôt que de longs discours, quelques chiffres permettent de se faire une idée de la situation dans laquelle se trouve EDF. À la fin de l’année, son endettement devrait atteindre 60 milliards d’euros, contre 44 milliards à fin 2021. Début septembre, 32 réacteurs sur 56 ne fonctionnaient pas. En cause, des arrêts planifiés pour maintenance et des arrêts non planifiés, tels que ceux dus à des problèmes de corrosion. Sont notamment concernés les quatre réacteurs les plus puissants et les plus récents dans les centrales de Chooz (Ardennes) et de Civaux (Vienne) ou encore la prolongation de l’arrêt technique du réacteur 1 de Penly en Seine-Maritime. Sans compter les arrêts pour économie de combustible.

Et les retards pris dans la mise en service de l’EPR nouvelle génération de Flamanville (Manche) n’arrangent rien. En proie à des problèmes de conformité de soudure, celui-ci ne démarrera qu’au premier semestre 2023 et ne prendra donc toujours pas cet hiver le relais de la centrale de Fessenheim fermée depuis 2020.

"La priorité est de remettre en production un maximum de centrales nucléaires"

Résultat, la production nucléaire devrait atteindre en 2022 une fourchette comprise entre 280 et 300 térawattheures contre 360,7 en 2021. Soit un plus bas depuis trente ans qui pèsera à hauteur de 32 milliards d’euros sur l’Ebitda du groupe. "Une entreprise doit créer sa propre capacité d’investissement et cela passe d’abord par sa capacité de production, estimait lors de son audition en octobre devant les parlementaires Luc Rémont. La priorité est de remettre un maximum de centrales en production." En tout, 28 réacteurs devraient avoir repris du service au 25 décembre.

Outre les deniers déjà engagés pour l’entretien et la finalisation de réacteurs, EDF devrait mobiliser autour de 50 milliards d’euros pour la construction de six nouveaux EPR de nouvelle génération, avec une option pour huit supplémentaires. "Sur le nombre de réacteurs [à construire], je ne veux pas paraître timoré, mais je suis prudent, car le principal défi est de monter une filière industrielle qui permette un coût récurrent du réacteur le plus faible possible et un délai de construction du réacteur le plus réduit possible." De quoi gagner aussi en crédibilité à l’étranger, le groupe espérant exporter davantage sa technologie.

Pénurie de main-d’œuvre

Parmi les raisons des retards accumulés, la pandémie mais aussi le manque de main-d’œuvre. Un problème mis en avant par le prédécesseur de Luc Rémont. Fin août, lors de la Rencontre des entrepreneurs de France du Medef, Jean-Bernard Lévy n’a pas hésité à pointer du doigt les conséquences de la politique nucléaire de l’État sur ce volet. "On manque de bras, parce qu’on n’a pas assez d’équipes formées. Et pourquoi on n’a pas assez d’équipes formées ? Parce qu’on nous a dit : votre parc nucléaire, il va décliner. Préparez-vous à fermer des centrales."

"On manque de bras parce qu’on n’a pas assez d’équipes formées"

Usineurs, chaudronniers, tuyauteurs ou encore soudeurs industriels sont les métiers qu’EDF doit recruter à l’étranger voire former. La déclaration de celui qui fut PDG d’EDF de 2014 à 2022 n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. "C’est absolument inacceptable que les gens qui ont eu la responsabilité des travaux de maintenance du parc installé puissent expliquer aujourd’hui que nous n’avons pas pris nos responsabilités", s’est insurgé Emmanuel Macron en septembre.

Prix d’or

Le nerf de la guerre pour EDF est mis à mal par plusieurs facteurs financiers qui viennent se superposer. Pour mémoire, depuis 2011, le dispositif Arenh (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique) permet aux fournisseurs alternatifs de s’approvisionner auprès d’EDF à des tarifs réglementés. EDF doit vendre 100 TWh au prix de 42 euros/ MWh, contre un prix moyen de 900 euros sur les marchés au comptant.

En février, le gouvernement décidait de relever le plafond à 120 TWh, tout en augmentant le prix de vente des 20 TWh supplémentaires à 46,2 euros le MWh. Un prix, là encore insuffisant, qui met davantage EDF dans l’embarras. D’où un recours déposé par le groupe devant le tribunal administratif de Paris afin d’obtenir une indemnisation par l’État, à hauteur de ses préjudices, soit 8,34 milliards d’euros, après avoir acheté à un prix de 257,95 euros le MWh pour le revendre aux fournisseurs alternatifs à 46,2 euros.

"L’Arenh n’est pas un système satisfaisant pour EDF, mais c’est celui dont on dispose pour protéger les consommateurs", reconnaît Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition énergétique. C’est pourquoi le gouvernement a fait un pas en arrière en octobre en promettant que le plafond de 120 TWh ne serait pas reconduit l’an prochain, comme cela était envisagé il y a quelques semaines encore.

Projets herculéens

"En l’absence de révision des conditions de marché, la capacité d’investissement d’EDF est obérée par Arenh. Le mécanisme de l’Arenh est à bout de souffle", déplore le nouveau patron. Et d’estimer que les acteurs alternatifs ne jouent pas suffisamment le jeu : "Si le dispositif a bien servi à protéger les clients des prix de marché trop élevés, […] d’autres objectifs, comme les investissements de la concurrence dans la production n’ont pas été atteints."

Le système Arenh, qui a accompagné l’ouverture à la concurrence, et la nécessité de se développer dans les renouvelables pourraient obliger Luc Rémont à mener à bien la réforme structurelle d’EDF. Un chantier herculéen qui devra satisfaire l’actionnaire, mais aussi les syndicats et la Commission européenne. Sa connaissance du secteur public comme privé pourrait être un plus pour le dirigeant. En espérant qu’il aura l’énergie nécessaire pour tout mener de front.

Olivia Vignaud

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