Philippe Darmayan, président d'ArcelorMittal France, explique les choix stratégiques du groupe dans un contexte de surproduction mondiale sur le marché de la sidérurgie.

Décideurs. ArcelorMittal a dû faire face à une perte de 33 millions de dollars au premier semestre 2019, en raison notamment de la hausse du prix du minerai de fer et de la surcapacité de production de la Chine. Dans ces conditions, les objectifs définis dans le plan « Action 2020 », notamment en matière de réduction de la dette, demeurent-ils tenables ?

Philippe Darmayan. Factuellement, cette perte est principalement due à des dépréciations sans impact de trésorerie (non-cash impairments) liées à la vente d’actifs dans le cadre du projet d’acquisition d’Ilva en Italie ainsi qu’à la dépréciation d’actifs aux Etats-Unis. En excluant les pertes de valeur, le bénéfice net aurait été de 1,1 milliard de dollars et l’Ebitda est positif sur le semestre à 3,2 milliards de dollars. Cela étant dit, le marché de l’acier est effectivement entré dans une phase de dérégulation, indirectement liée aux mesures de protectionnisme qui ont été prises par l’administration américaine. Contrairement à ce qui avait été évoqué, les exportations de l’Europe vers les USA ne sont pas l’essentiel du sujet. L’Europe - le marché le plus ouvert du monde – a en revanche subi, par contre coup des décisions américaines, des flux additionnels d’importations en provenance, notamment, de Turquie et de Russie. L’offre est aujourd’hui supérieure à la demande. Cette situation avait été anticipée par notre groupe et nous avons rapidement abaissé notre capacité de production en Europe dans le but de répondre à la hausse des importations et d’assainir le marché. Nous avons demandé à l’administration européenne de nous soutenir avec la mise en place de mesures de sauvegarde. Hélas, pour des raisons techniques ou politiques, elles ont eu peu d’efficacité et souhaitons leur révision. Par ailleurs, nous poursuivons résolument la mise en œuvre de notre plan Action 2020 pour réduire nos frais fixes, accroître la proportion de nos ventes de produits à haute valeur ajoutée et négocier au mieux les achats de matières premières avec nos fournisseurs.

En réponse, vous avez notamment réduit votre capacité de production en Europe. D’autres dispositions seront-elles annoncées ? La cession d’actifs non stratégiques évoquée est-elle amenée à se concrétiser rapidement ? L’activité de produits sidérurgiques destinés au secteur de la construction pourrait-elle être concernée ?

Depuis 2015, notre groupe poursuit sa stratégie visant à assainir son bilan. La dette nette de 10 Md€ est à son niveau le plus bas jamais connu depuis la fusion d’ArcelorMittal. Nous avons aussi identifié des opportunités pour dégager 2 Milliards de dollars supplémentaires grâce à des cessions d’actifs sur les 2 prochaines années, ce qui permettra de poursuivre la réduction de la dette.

« Les mesures de sauvegarde mises en place par l’administration européenne ont peu d’efficacité »

Déjà très présent dans les pays émergents, ArcelorMittal a renforcé ses positions en Inde par l’acquisition d’Essar Steel avec le soutien du japonais Nippon Steel. Qu’attendez-vous de cette opération ? Comment comptez-vous relancer cette entreprise qui était en difficulté ?

Si la famille Mittal est indienne, la réalité est qu’ArcelorMittal n’a jamais eu de présence dans ce pays. Notre motivation pour acquérir ESSAR tient au fait que l’Inde détient les taux de croissance les plus hauts du monde. Nous espérons finaliser bientôt cette acquisition. Si l’on veut continuer à créer de la valeur, il faut aller chercher de nouveaux leviers de croissance dans des zones ou des pays où la croissance est plus forte. L’ADN d’ArcelorMittal, et avant elle de Mittal Steel, est de reprendre des sociétés en situation difficile et de les redresser. Cet investissement est donc en lien avec notre savoir-faire historique.

Vous avez annoncé dans votre rapport « Action Climat » l’ambition de réduire significativement vos émissions carbone. Quels sont vos objectifs en la matière ? Comment comptez-vous y parvenir ?

Le maître mot du groupe est d’anticiper. L’ambition de l’Europe et de la France est d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous faisons nôtre cette ambition. Pour produire de l’acier, il faut réaliser une opération de « réduction » du minerai de fer, activité par définition émettrice de CO2. Pour réduire ces émissions, plusieurs leviers peuvent être activés : 

D’une part, optimiser nos processus de production. L’idée est de trouver des solutions nous permettant de « réduire » le minerai de fer sans produire de CO2 ou en en produisant moins, notamment avec de l’hydrogène. D’autre part, utiliser le CO2 dans une approche circulaire, comme par exemple pour faire un carburant qui se substitue aux combustibles carbonés. Ou encore, capturer et stocker le CO2 pour éviter qu’il aille dans l’atmosphère.

ArcelorMittal, comme la plupart de ses confrères européens, travaille sur tous ces sujets avec des applications pratiques à Dunkerque, dans notre centre de recherche de Maizières-lès-Metz, ainsi qu’à Gand (Belgique) où nous construisons une usine de fabrication d’éthanol à partir de CO2, ou encore à Hambourg (Allemagne) où nous allons tester la fabrication d’acier via l’hydrogène.

Il est bien sûr aujourd’hui très difficile de dire à quel rythme ces projets vont avancer tant est ambitieux notre objectif de vouloir réinventer des processus de fabrication d’acier éprouvés depuis le XIXe siècle. L’accompagnement par les pouvoirs publics en France et en Europe, et notamment par le biais d’un soutien financier apporté à la recherche, sera essentiel.

« L’ADN d’ArcelorMittal est de reprendre des sociétés en situation difficile et de les redresser »

La concurrence très forte venue de Chine ne va-t-elle pas freiner vos ambitions à moyen terme ?

La forte ambition de l’Europe en matière de neutralité carbone par rapport aux autres pays est clairement un handicap en termes de compétitivité pour l’acier produit en Europe. Il faut donc trouver la façon de rétablir une concurrence équitable par la création d’un mécanisme de protection aux frontières en complément du système communautaire d'échange de quotas d'émission.

Bien qu’imparfait, le second système a le mérite d’exister. Le premier, que nous soutenons, permettrait aux importateurs étrangers de contribuer au coût du CO2 dans des conditions équivalentes aux producteurs européens. La neutralité carbone ne pourra se concrétiser que si le chemin industriel qui y mène est garanti par des mécanismes politiques permettant la neutralité commerciale. Sans neutralité commerciale, il ne peut y avoir de neutralité carbone.

ArcelorMittal a lancé en 2018 sa plateforme e-commerce E-steel. Quels en sont les premiers résultats en France ? Cette offre a-t-elle vocation à s’étendre en dehors de l’Europe ?

Nous développons effectivement un programme de ventes et de distribution en ligne. La vente en ligne fait aujourd’hui partie des standards commerciaux et cela change la chaîne de distribution de l’acier. Pour certaines de nos agences en France, ce système concerne déjà 20 % à 25 % de leurs ventes ! La plate-forme E-steel est déjà déployée en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Italie et va être élargie à l’Allemagne et l’Espagne.

« L’ambition de l’Europe et de la France est d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Nous faisons nôtre cette ambition »

Quels sont vos grands projets pour les années à venir ?

Le projet de neutralité carbone va grandement occuper nos ingénieurs mais également nos commerciaux. La neutralité carbone va changer les usages du public dans beaucoup de domaines : la mobilité, le logement, l’alimentation... Nos industries sont porteuses de solutions. Pour ce qui nous concerne, avec des points d’application majeurs dans les aciers pour l’automobile et pour la construction. Nous continuerons à accompagner nos clients sur leurs marchés, avec le développement de nouveaux aciers, notamment électriques, répondant à leurs besoins futurs.

Nous étudions également les opportunités liées aux énergies renouvelables (photovoltaïque, éolien) : nos terrains peuvent accueillir des unités de production et nous pouvons également à l’avenir utiliser ces énergies dans notre process lui-même.

La croissance économique mondiale montre des signes d’essoufflement. Cette situation vous inquiète-t-elle ?

Nous entrons dans un nouveau cycle de dérégulation et de baisse du commerce mondial qu’il convient effectivement de gérer au mieux. Nous sommes au plan mondial dans un alignement de faibles croissances, mais avec l’activité des deux grandes zones – Chine et USA – tournée vers leurs marchés intérieurs. C’est une nouvelle donnée à intégrer, notamment en ce qui concerne les surcapacités de production d’acier en Asie. Nous demandons à l’OCDE de poursuivre son action de long terme en faveur d’un ajustement des capacités de production aux besoins. Les premiers résultats sont déjà visibles : la Chine a baissé de 150 millions de tonnes ses capacités de production depuis 2015.

« ArcelorMittal s’inscrit dans le paysage industriel français »

En 2019, de très bonnes nouvelles sont venues du côté du site de Florange en Moselle avec la mise en service d’une seconde unité de galvanisation.

Je voudrais féliciter toutes les équipes de Florange pour leur fantastique travail. Lorsque les hauts-fourneaux ont été arrêtés en 2012, nous avions pris des engagements pour redimensionner le site et le développer sur la production automobile. Nous avons tenu ces engagements et bien au-delà. Une seconde unité de galvanisation sera inaugurée dans les prochaines semaines. Aujourd’hui, nous avons quasiment le même nombre de salariés qu’avant la crise. Nous avons été érigés en symbole et nous le regrettons. Un travail de fond a été fait par les équipes dans ce contexte médiatique difficile. On en voit aujourd’hui le résultat : ArcelorMittal s’inscrit dans le paysage industriel français. La France est un pays important à nos yeux. Je suis convaincu qu’un pays fort doit être capable de produire des matières premières. On a en France des aciéries parmi les meilleures du monde.

Propos recueillis par Aurélien Florin

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