La chute du prix du baril a entraîné une réduction drastique des investissements des compagnies pétrolières, fragilisant ainsi l’ensemble des acteurs du secteur. Vallourec, fleuron de l'industrie française, n’y échappe pas. Entretien avec le président du directoire, Philippe Crouzet.

Décideurs. Vallourec a annoncé une augmentation de capital d’un milliard d’euros afin notamment de financer un nouveau plan d’investissement. Quelle est votre feuille de route sur les années à venir ?

Philippe Crouzet. Le secteur pétrolier et gazier, notre principal marché, doit faire face à un bouleversement majeur, qui se manifeste notamment par une baisse du prix du gaz et du pétrole. Derrière la fluctuation des cours, l’enjeu pour les différents acteurs est de bâtir de nouveaux business models leur permettant de demeurer durablement rentables. Dans ce contexte, notre feuille de route est claire : accompagner nos clients dans cette transition et devenir leur partenaire de référence. Nous nous y sommes préparés bien avant cette augmentation de capital. Au cours des dernières années, un certain nombre d’investissements ont été réalisés pour repositionner notre appareil productif sur les marchés de croissance et les zones où notre compétitivité est meilleure. Notre augmentation de capital nous donne aujourd’hui la marge de manœuvre nécessaire pour financer un plan de réorganisation en profondeur en Europe, zone dans laquelle notre compétitivité n’était plus à la hauteur du bouleversement en cours. Elle nous permet également d’asseoir notre positionnement sur des territoires stratégiques, à savoir le Brésil et la Chine.

 

Décideurs. Votre développement au Brésil est passé par la mise en commun d’un outil industriel avec Nippon Steel. Dans quel cadre s’inscrit cette opération ?

P. C. Nippon Steel est un partenaire historique. Dans ce cadre, nous collaborions déjà au développement technologique de notre offre. Nous avons plus récemment investi avec eux sur un projet industriel au Brésil, au travers d'une joint-venture commune. Nous avons annoncé début 2016 fusionner celle-ci avec la société brésilienne dont nous étions à 100 % propriétaires. Ce rapprochement est source de nombreuses synergies sur le plan industriel, en particulier en matière de production d’acier. Nippon Steel étant déjà minoritaire dans la joint-venture, il s’est retrouvé fortement dilué dans la société fusionnée. Le groupe japonais a donc recentré son partenariat en montant à 15 % du capital du groupe Vallourec, devenant ainsi l’un de nos actionnaires stratégiques.

 

Décideurs. Peut-on s’attendre à des partenariats de ce type dans d’autres régions du monde ?

P. C. Nous avons déjà des joint-ventures aux États-Unis. Mais nous n’avons pas prévu d’en monter dans d’autres pays.

 

Décideurs. Comment se matérialise l’apport de vos deux actionnaires stratégiques, BPIFrance et Nippon Steel ?

P. C. BPIFrance est d’abord un actionnaire financier. Ses équipes participent à nos réflexions sur cette dimension de notre stratégie. Preuve de leur engagement, ils ont participé à notre dernière augmentation de capital. BPIFrance tenait à ce qu’il y ait à ses côtés un partenaire industriel. Rôle en pratique dévolu à Nippon Steel. Nous en avons profité pour renforcer nos liens en matière de R&D et d’innovation, fruit d’une très longue coopération technologique avec Sumitomo Metal Corporation racheté par Nippon Steel en 2012. Nous comptons mettre en commun encore davantage de moyens afin d’accompagner de la manière la plus efficiente possible nos clients dans leur stratégie de développement technologique.

 

Décideurs. Comme un grand nombre de sociétés du secteur pétrolier et parapétrolier, vous pourriez faire l’objet d’une offre publique d'achat. Est-ce une voie souhaitable pour Vallourec ?

P. C. Pour qu’une offre de rachat soit convaincante, il faut qu’elle crée de la valeur pour les actionnaires, mais aussi qu’elle soit compatible avec les règles antitrust. Or, les autorités compétentes en matière de droit de la concurrence sont particulièrement vigilantes à ce sujet. L’échec de la fusion entre Halliburton et Baker Hughes en est l’illustration. A contrario, le rapprochement entre le parapétrolier français Technip et l'américain FMC Technologies est en train de passer sans difficulté le cap de ces autorités. Dans notre cas, il ne me semble pas qu’il y ait de combinaison aussi créatrice de valeur, en tout cas pas sous la forme d’une OPA. C’est pourquoi nous avons privilégié un partenariat industriel avec Nippon Steel, un concurrent certes, mais avec un positionnement technologique et géographique complémentaire au nôtre.

 

Décideurs. Vous avez notamment revendu votre filiale Vallourec Heat Exchanger Tubes (VHET) à la société American Industrial Acquisition Corporation (AIAC).  D’autres cessions sont-elles envisageables ?

P. C. Notre portefeuille d’activités est déjà très homogène. Vallourec est fortement centré sur le métier des tubes. VHET avait un profil atypique car positionné sur des technologies et des matériaux spécifiques. En cédant cette filiale, nous avons fait le choix de centrer notre activité sur nos métiers cœurs. Il n’y a pas, dans notre portefeuille d’activités, d’autres actifs qui présentent ces caractéristiques. Le seul autre actif dont nous avons annoncé la cession est notre aciérie de Saint-Saulve car nous sommes amenés à réduire très significativement nos capacités en Europe. Nous recherchons donc un nouveau partenaire pour la reprise de ce site de production.

 

Décideurs. Parallèlement, vous avez pris la décision de racheter la majorité du capital d’Anhui Tianda Oil Pipe pour 175 millions de dollars. Cette opération n’est-elle pas trop audacieuse au vu du contexte ?

P. C. Ma vision est au contraire très différente. Dans cette crise, il y a aussi des opportunités et certains actifs ont une valeur extrêmement faible au vu de leur qualité. C’est le cas de la firme chinoise Anhui Tianda Oil Pipe. Nous la connaissons très bien puisque nous y avons déjà une participation à hauteur de 20 % depuis quelques années. Je suis convaincu que dans les bouleversements qui touchent le secteur pétrolier la compétitivité est un élément clé. Tianda va nous aider à gagner en compétitivité et à conquérir des marchés qui ne sont plus accessibles depuis l’Europe. Nos clients ont besoin d’être convaincus que nous pouvons les accompagner dans leur démarche de réduction des coûts et cette acquisition en est la preuve.

 

Décideurs. Certains analystes soulignent qu’avec la suppression des investissements actuels dans le secteur pétrolier, le marché était en train de créer les contours d’un futur choc pétrolier. Ce scénario vous paraît-il vraisemblable ?

P. C. C’est effectivement un scénario tout à fait plausible. Il est clair que l’ensemble des acteurs pétroliers et gaziers sous-investissent massivement. Les écarts entre les investissements actuels et ceux nécessaires au maintien des capacités de production sont très importants et se chiffrent en centaines de milliards de dollars. Nous sommes déjà dans la deuxième année de crise. La production dans certains pays commence à baisser du fait des sous-investissements locaux. D’ici à quelques années, il est probable que l’on se retrouvera face à une falaise d’investissements. Le marché devra donc opérer des investissements massifs pour rattraper ce retard. C’est à cela que nous nous préparons. Il faut traverser le désert actuel et nous serons prêts à répondre aux besoins lorsque les investissements repartiront violemment.

 

Décideurs. L’augmentation de capital d’un milliard d’euros de Vallourec a entraîné une dilution importante pour tous les actionnaires individuels. Quel message souhaitez-vous leur adresser pour les rassurer ?

P. C. Étant moi-même actionnaire de Vallourec, je comprends leur déception. Nous sommes dans un secteur très cyclique. Nous devons faire face à une conjoncture très dure et à une chute de l’investissement que nous n’avons jamais connue. Il fallait prendre sans tarder des mesures fortes et les accompagner d’une restructuration financière. Je demande donc à nos actionnaires de la patience et de la confiance, confiance qu’ils nous ont témoignée lors de notre augmentation de capital. Je les en remercie !

 

Décideurs. Si malheureusement le marché tardait à redémarrer, la réorganisation opérationnelle et financière que vous avez menée peut permettre à Vallourec de tenir combien de temps encore ?

P. C. Il n’existe pas de scénario unique. L’ensemble des mesures que nous avons prises vont permettre à Vallourec, tout en répondant aux nouveaux défis de nos clients, de ressortir plus forts de cette crise. Notre feuille de route est claire, nous devons continuer à nous adapter, à renforcer notre compétitivité, et à travailler au plus près des besoins de nos clients. Si la crise venait à durer au-delà de 2018, nous saurions, comme Vallourec a toujours su le faire, lancer de nouvelles initiatives pour nous adapter.

 

Propos recueillis par Aurélien Florin (@FlorinAurelien)

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