Directeur financier de Verallia, l’ex-filiale de Saint-Gobain dédiée à la fabrication de bouteilles en verre, Didier Fontaine revient sur l’une des introductions en Bourse à Paris de ces dernières années. Processus de cotation, relations avec l’actionnaire financier Apollo, perspectives du marché du verre et stratégie du groupe, aucun sujet n’est éludé.

Décideurs. Compte tenu de la frilosité des marchés financiers et de l’ampleur de l’opération, l’introduction en Bourse de Verallia a certainement été une longue aventure. Êtes-vous, en définitive, satisfait du résultat, notamment de la valeur d’entreprise qui ressort à 3,2 milliards d’euros ?

Didier Fontaine. À titre personnel, c’est ma deuxième introduction en Bourse en tant que directeur financier puisque j’avais déjà, en 2013, participé à la cotation de Constellium (ex-Pechiney) sur le New York Stock Exchange (Nyse). L’IPO de Verallia, ce sont six mois de travail intense. Dans sa phase préparatoire, la difficulté est de maintenir les équipes à un haut niveau de productivité. En effet, l’activité doit se maintenir et les employés ne peuvent pas être trop sollicités par le processus de cotation. Cela dit, l’existence d’un double agenda des collaborateurs est indéniable.

Concrètement, nous sommes là où nous voulions être à l’issue de l’IPO. Elle est le fruit d’un remarquable projet collectif, soutenu par l’amélioration de nos fondamentaux financiers ces dernières années, et tirée par un marché du packaging en verre dynamique. Le pire, sans doute, aurait été de voir l’opération s’envoler à quelques jours de sa réalisation, comme ce fut le cas pour d’autres projets d’appel public à l’épargne, y compris le nôtre en 2011. Pour la petite histoire, nous n’avions pas réalisé l’IPO de 2011 pour deux raisons. D’une part, l’américain Owens-Illinois (OI), premier fabricant mondial de contenants en verre, avait publié un avertissement sur ses résultats pendant notre roadshow, ce qui n’avait pas rassuré nos propres investisseurs. D’autre part, les remous générés par la crise grecque avaient contribué à tendre les marchés.

"Le pire, sans doute, aurait été de voir l’opération s’envoler à quelques jours de sa réalisation"

Cette fois, nous avons réussi, et ce malgré des vents contraires qui se sont levés peu avant l’arrivée du titre en Bourse : décrochage du marché actions d’environ trois points, tweet de Donald Trump sur la possible augmentation des taxes visant le vin français, un marché important pour nous en termes d’export.

L’IPO n’a pas donné lieu à une augmentation de capital. Pourquoi ?

Cela s’explique par la forte réduction de la dette du groupe. Lorsque je suis arrivé chez Verallia, la société payait environ 5 % de charges financières. Ce chiffre est redescendu à 2 % post-IPO. C’est en grande partie dû aux bonnes performances opérationnelles de l’entreprise et à l’abondance de liquidités sur les marchés. De plus, sur le plan de la trésorerie, alors que nous étions sous LBO, nous avons eu l’audace de lancer un programme de "commercial paper". Malgré les doutes de certaines agences de notation, à l’époque, notre programme de 250 millions d’euros (400 millions d’euros depuis juillet 2019) a facilement trouvé preneur et nous tirons désormais à 25 points de base pour une maturité moyenne de trois mois, ce qui est extrêmement bas. La dette nette quant à elle, est sur le point d’être ramenée à 2,5 fois l’Ebitda. Elle était de 3,7 fois début 2018. On gagne à peu près un demi-tour de multiple de dette/Ebitda par an. Au-delà de trois fois, il aurait été difficile de se valoriser correctement en Bourse, et à ce moment-là, l’augmentation de capital aurait pu être une option, quitte à diluer les actionnaires historiques.

Justement, comment évaluez-vous votre relation avec un fonds aussi réputé qu’Apollo au capital ?

La relation avec Apollo est très bonne. Les fonds ont parfois cette mauvaise image de "coupe-tout" qui ne traduit pas la réalité. Verallia investit de façon récurrente, autour de 8 % du CA consolidé par an. Depuis l’entrée d’Apollo au capital, ce rythme n’a pas bougé. Bien au contraire, ils nous ont soutenus dans la création d’une usine greenfield au Brésil, et dans le doublement de capacités de deux autres sites en Espagne et en Italie. Ils nous ont aussi accompagnés dans la mise en place d’une politique d’actionnariat salarié assez pionnière dès la sortie du giron de Saint-Gobain.

En ce qui concerne le marché du verre en tant que tel, a-t-on assisté à un retour en grâce de ce produit vis-à-vis des consommateurs ?

Le verre revient de loin. En 2011, c’était le "bashing" du verre, et le plastique incarnait le futur. Le marché progressait alors de 0,5-0,6 % par an. Depuis 2014, le commerce du verre s’est accéléré, à raison de +1,8 % par an, pour atteindre 21 millions de tonnes produites en Europe aujourd’hui. En parallèle, l’entreprise a bénéficié du manque de préparation des clients à l’occasion de ce "shift", et ils se sont vite retrouvés en situation de fortes capacités excédentaires sur le plastique. La demande de verre a dépassé l’offre, ce qui est plutôt positif pour les fournisseurs.

Tous les voyants, ou presque, sont donc au vert pour Verallia. Quelle est la stratégie de croissance du groupe ? Sera-t-il davantage question d’investissements ou d’économies ?

Le plan stratégique de Verallia s’articule autour de trois piliers. Le premier reprend le slogan "Glass is back", décrit précédemment, et au nom duquel nous augmentons notre programme de livraison.

En deuxième lieu, on module la hausse des prix du verre, pour compenser l’augmentation des coûts de l’énergie et des matières premières. La demande étant pressante et élevée, il faut un peu arbitrer parmi les 10 000 clients de notre portefeuille. Bien sûr, on essaye de répondre à tous les besoins.

"Au-delà de trois fois [de dette nette/Ebitda], il aurait été difficile de se valoriser correctement en Bourse" 

Enfin, le groupe doit tenir un cap de productivité fixé à 2 % d’économies des coûts de production cash par an. Cette politique ne relève pas d’une stratégie marketing. Lorsque vous avez un actionnariat aussi divers que le nôtre, notamment composé de salariés actionnaires, la productivité est une notion très concrète au sein d’un site de production, où le directeur de projet peut voir, chaque mois, l’impact des gains de productivité sur le P&L de l’usine. En chiffres, il s’agit de 36 millions d’euros d’économies par an qui, rapportées à un chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros, créent 1,4 % de résultat en plus. 

Du fait de la bonne santé du marché du verre, étudiez-vous la possibilité de racheter d’autres sociétés pour renforcer votre position ? Comment voyez-vous la concurrence d’ailleurs ?

Aux États-Unis, OI n’est pas un concurrent direct car il fournit le "mass market" avec des contenants standardisés pour les bières ou les sodas. De son côté, Verallia est à l’intersection du premium et des produits plus standards.

En Europe, la visibilité des acteurs du verre est assez faible. Le plus important après nous est l’espagnol Vidrala, mais il pèse moitié moins. Son flottant est biaisé car il est indirectement détenu par le holding familial. Vetropack, en Suisse, ou Zignago Vetro en Italie, sont de bien plus petites entreprises. En fin de compte, les investisseurs n’ont pas beaucoup de choix pour financer le verre européen.

"Les fonds ont parfois cette mauvaise image de "coupe-tout" qui ne traduit pas la réalité"

En ce qui concerne le M&A précisément, les possibilités de consolidation du marché sont limitées, au moins en Europe. Au début des années 2000, les cinq plus grands groupes producteurs de verre pour la grande consommation réalisaient moins de 50 % de l’activité. Presque 20 ans plus tard, les cinq leaders européens approvisionnent 75 % des clients finaux. La France ou l’Espagne sont par exemple des marchés à trois têtes. Former un quelconque partenariat avec l’un d’entre eux, capitalistique ou non, serait difficile à faire passer devant les autorités de concurrence. L’Italie ou l’Amérique latine sont peut-être des régions plus abordables, ce qui ne veut pas dire que la seule voie de développement y soit le M&A. Sans parler du risque de perdre le "focus" sur le cœur d’activités de la société, inhérent à toute acquisition loin de ses bases.

Verallia est aujourd’hui l’un des leaders mondiaux de la fabrication de bouteilles de verre. Quelle est la stratégie "produits" et ses conséquences potentielles sur les finances du groupe ?

L’essentiel de l’offre est partagé entre les spiritueux (cognac, vodka, etc.), les vins pétillants (champagne, prosecco, cava, etc.) et les vins tranquilles avec une large gamme de produits premium. Ces trois catégories de produits représentent 60 % de nos revenus. Les 40 % restants réunissent nos offres dédiées à la bière, les boissons non-alcoolisées et l’alimentaire. Si l’on prend l’exemple de la bière, nous produisons les bouteilles de différents brasseurs artisanaux, les famseuses "craft beers", dont les modèles sont originaux et innovants. Nous ne sommes pas assis sur le modèle "une usine = un client". Pour des raisons d’image de marque et de compétences métiers, mais aussi financières. Imaginons que votre unique grand compte veuille renégocier à son avantage des conditions de paiement, brandissant la menace du départ au concurrent mieux offrant, votre position de fournisseur est alors très inconfortable.

Le verre revient de loin. En 2011, c’était le "bashing" du verre, et le plastique incarnait le futur 

De manière plus prospective, nous portons de bonnes ambitions dans le non-alcoolisé (sodas, jus de fruits, boissons à base de lait, etc.) et l’alimentaire (épicerie sucrée et salée, légumes). La pénétration moyenne du verre sur ces segments de marché n’est que de 10 %. Ce chiffre a vocation à augmenter et nous aimerions pouvoir y jouer notre carte de produits premium, au design simple mais épuré.

Cette dynamique positive d’ensemble est-elle stimulée ou freinée par les enjeux croissants en matière de responsabilité sociétale et environnementale ?

Le verre est perpétuellement recyclable. Aujourd’hui, certaines de nos usines utilisent jusqu’à 95 % de calcin, c’est-à-dire de verre recyclé. Notre seule limite est le taux de recyclage, de 76 % en Europe actuellement. Au-delà de Verallia, le cercle vertueux doit partir du geste citoyen et des pouvoirs publics. Plus le niveau de collecte du verre sera élevé, plus nous pourrons l’utiliser dans nos fours, et plus notre point de fusion sera bas. Ainsi, nous consommerons moins d’énergie et réduirons nos émissions de CO2. La planète, comme Verallia, en ressortira grandie.   

Propos receuillis par Firmin Sylla

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