Il n’a pas eu la tâche aisée. Souvent, la succession à la tête d’une entreprise familiale se déroule en douceur pour l’héritier. Ce ne fut pas le cas pour Édouard Schumacher, qui a repris les rênes du groupe LS Group alors en pleine crise. Il a rapidement redressé le cap, et de quelle manière ! Une décennie plus tard, le groupe de distribution automobile s’est hissé au 6e rang national et devrait prochainement passer le cap du milliard d’euros de chiffre d’affaires. Entretien.

Décideurs. Vous avez pris les commandes du groupe en 2007. Quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Édouard Schumacher. Mon intégration a été violente et brutale. Je n’étais pas du tout préparé. J’ai rejoint le groupe au lendemain de l’enterrement de mon père. J’étais alors en train de poursuivre mes études de droit pour devenir avocat ; je les ai donc interrompues net. Le groupe traversait une crise interne très forte, avec des résultats économiques catastrophiques du fait d’une déplorable gestion, d’une mauvaise direction générale depuis six années consécutives. L’entreprise perdait alors 12 millions d’euros par an. Son avenir était réellement compromis. En plus de ma peine, je me suis retrouvé plongé dans un univers que je ne connaissais pas et que j’ai dû découvrir dans l’urgence. Ma naïveté m’a aidé, car je ne mesurais pas l’ampleur de la tâche ! J’avais avant tout ce désir de prolonger l’héritage paternel. Il y avait une sorte de rage au fond de moi qui a pu me porter dans les débuts. Très rapidement, je me suis attaché aux équipes, même s’il a fallu faire des choix forts en matière de restructuration. Mais personne ne me les a jamais reprochés, car je pense qu’ils ont été faits avec sincérité et avec respect pour les équipes.

Comment avez-vous opéré le redressement du groupe ?

Le groupe s’est redressé en deux ans notamment grâce à des équipes de valeur, mais il demeurait un problème d’encadrement et de top management. Nous possédions toutefois des atouts : une sécurité foncière, car nous étions propriétaires d’une grande partie de l’immobilier et un marché était au rendez-vous. Avec ces bons fondamentaux, du pragmatisme, un peu de chance et une nouvelle équipe de direction, nous avons pu assez vite faire repartir la machine.

En dépit d’une conjoncture plutôt favorable, les marges demeurent-elles réduites ?

Nos niveaux de rentabilité sont extrêmement faibles. Il s’agit d’un milieu atypique. Dans ce cadre, la valeur ajoutée des collaborateurs apparaît particulièrement importante. Dans un contexte de mutations du secteur automobile, qui ont démarré il y a une quinzaine d’années et qui s’accélèrent très fortement aujourd’hui, nos collaboratrices et collaborateurs ont un rôle d’autant plus essentiel.

Le multimarquisme et la croissance externe sont-ils les deux axes forts de votre développement ?

Un certain nombre d’opportunités se sont présentées sur notre zone de chalandise pour travailler avec d’autres marques. S’ouvrir à d’autres cultures de marque était essentiel sur le plan intellectuel. Par ailleurs, il vaut mieux être son propre concurrent que de s’exposer à la concurrence d’autres groupes sur sa propre zone de chalandise. Si, en région parisienne, vous maîtrisez déjà 10 % de votre marché, c’est une excellente performance.

"S'ouvrir à d'autres cultures de marque était essentiel sur le plan intellectuel"

Notre chiffre d’affaires a atteint 880 millions d’euros l’an dernier. Nous poursuivrons notre politique de croissance externe, mais je ne privilégie toutefois pas une course à l’acquisition de concessions classiques. Notre priorité est de consolider notre fusion avec le groupe Lamirault, actée en janvier 2019. Tout comme un couple, cela se travaille tous les jours ! Nous sommes plus forts à deux, encore faut-il respecter les équilibres.

Le rapprochement avec le groupe Lamirault a également constitué une étape clé dans votre développement…

J’ai rencontré Olivier Lamirault en 2007 lorsque j’ai repris la direction du groupe Schumacher. Notre relation a été très amicale durant une dizaine d’années. Nous avons alors décidé d’aller plus loin, jusqu’à associer nos deux groupes de distribution en 2017. Nous représentons toutes les marques du groupe Volkswagen à l’exception de Porsche, y compris Lamborghini et Bugatti ainsi que toutes les marques du groupe Fiat et Toyota apportées par le groupe Lamirault.

La rentabilité présente et future des grands groupes de distribution passe-t-elle essentiellement par l’après-vente ?

Demain, la partie atelier sera notre valeur ajoutée. Nous souhaitons que nos clients reçoivent à l’avance un devis sur l’intervention, puissent suivre en temps réel l’évolution de l’intervention, mais aussi qu’ils aient la possibilité de convenir d’un rendez-vous qui soit le plus optimal pour eux et que nous allions chercher le véhicule à domicile. Les solutions développées par la start-up doivent nous permettre de lever nos propres contraintes sur ce plan, sachant que nos ressources économiques sont limitées. Car malheureusement, nos marges sont faibles bien que l’on manipule un important chiffre d’affaires. Aujourd’hui, si l’on veut lever ces contraintes, il faut rationaliser notre organisation, se moderniser en matière de comportement et de fonctionnement, il faut standardiser un certain nombre de relations avec le client. Nous avons à mettre en place des outils nous permettant de dialoguer avec le client, et ce, avec bien moins de moyens humains qu’il y a une trentaine d’années. Le coût de la masse salariale a, en effet, considérablement renchéri. Nous avons bien moins de collaborateurs que par le passé.

Comment capter les nouvelles générations qui semblent avoir une vision de l’automobile très différente de celle de leurs aînés ? Les nouvelles solutions de mobilité sont-elles la voie à explorer ?

étant donné que le coût de détention d’une voiture a bien augmenté, les millennials ne constituent pas le cœur de notre clientèle. Ils se sont d’abord tournés vers l’occasion. En milieu urbain, les mentalités des jeunes générations par rapport à l’automobile évoluent considérablement. Ils ne passent pas forcément leur permis de conduire. Ils ne cherchent pas non plus à devenir propriétaires de leur voiture, cela ne les intéresse pas. Ils souhaitent un usage, une expérience et recherchent donc de nouvelles solutions de mobilité. De nombreux acteurs sur la mobilité se mettent en place, beaucoup vont disparaître à plus ou moins brève échéance. Nous devons séduire cette nouvelle population. Nous travaillons conjointement avec les constructeurs qui développent leurs propres solutions. Il existe également de nouveaux acteurs, qui ne sont pas des constructeurs, qui arrivent sur le marché automobile avec des solutions de mobilité. Notre enjeu est d’avancer avec nos partenaires constructeurs, mais aussi de s’ouvrir à de nouvelles solutions, car nous nous projetons également en distributeurs de solutions de mobilité. Il y a d’importants chantiers à mener. Nous avons des avantages, dont le fait d’avoir une équipe assez jeune, et nous avons fait le choix de faire appel à des compétences extérieures qui n’étaient pas typiquement automobiles afin de nous ouvrir encore davantage sur les évolutions qui sont en cours.

Qu’en est-il de votre pôle de luxe ? Cette clientèle est-elle plus exigeante ?

Nous avons fait nos premiers pas dans le luxe avec Maserati, puis Lamborghini. Alpine n’est pas une marque hyperluxe, mais une marque sportive qui marie des codes du luxe avec des codes plus démocratiques. McLaren et Bugatti viennent de rejoindre ce pôle. Ces voitures d’exception m’ont toujours fasciné. Nos conseillers ont plus de mérite à faire du volume en Dacia que de vendre des voitures de luxe. Les clients d’une marque généraliste ne sont pas moins exigeants et la difficulté vient du fait que nos conseillers disposent de moins de temps. Nous avons le devoir de les satisfaire d’autant que proportionnellement à leur budget, l’investissement est plus important pour eux que pour les acheteurs de modèles de luxe.

Propos recueillis par Cyril André

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