Patrick Remot, directeur juridique et conformité de Clear Channel France, expose les enjeux de conformité pour une ETI comme la sienne et présente les programmes mis en place pour sensibiliser ses salariés aux risques de non-conformité.

Décideurs. Quel a été l’impact de la loi Sapin 2 sur votre entreprise ?

Patrick Remot. L’impact a été important car la mise en œuvre de la loi est lourde et complexe, particulièrement pour les ETI comme Clear Channel France dans lesquelles la question des coûts et des ressources se pose immédiatement. La direction juridique de l’entreprise s’est donc pleinement investie et a traité le sujet du début à la fin.

Nous avons dans un premier temps sensibilisé et formé nos instances dirigeantes à la nouvelle réglementation de façon à ce qu’elles puissent être en mesure d’impulser le programme de conformité et soutenir le responsable de la conformité dans son action de pilotage et de mise en œuvre dudit programme. Nous avons ensuite travaillé activement sur la planification des actions à mettre en place dans le cadre de l’article 17 de la loi Sapin 2 en concertation avec les dirigeants ainsi qu’en choisissant, au regard de la taille de notre structure, un mode « step by step » pour ce faire. Nous nous sommes ainsi mis en ordre de marche et avons pu avancer en intégrant les opérationnels concernés au fur et à mesure des étapes que nous franchissons.

Quel est l’enjeu principal de la conformité pour votre entreprise ?

Pour les petites comme les grandes entreprises, le défi majeur est de protéger l’entreprise mais aussi ses salariés. Dans un environnement législatif et réglementaire toujours plus complexe et qui évolue rapidement, les risques de « trébucher » s’accroissent. Toute affaire de corruption atteint tout de suite la réputation de la société et se solde la plupart du temps également par une amende financière très lourde. Pour une société comme Clear Channel France, très présente sur les marchés publics, une condamnation dans une affaire de corruption pourrait s’avérer désastreuse. Il est donc essentiel pour la direction juridique et conformité de protéger l’entreprise contre ce type d’affaires.

« Les recommandations de l’AFA sont complexes »

Quel bilan tirez-vous des premiers mois d’exercice de l’Agence Française Anticorruption (Afa) ? A-t-elle selon vous tenu ses promesses ?

Je pense que oui.  L’Afa est une autorité très jeune, étant née au printemps 2017. Le travail accompli en à peine un an et demi est cependant déjà important. L’agence n’a en effet pas perdu de temps entre le travail de sensibilisation des entreprises et des administrations, les premiers contrôles survenus en octobre 2017, les recommandations publiées en fin d’année 2017 et la poursuite desdits contrôles en 2018, ou encore l’enquête relative à la prévention de la corruption au niveau des collectivités locales. L’Afa, aux côtés de l’Autorité de la concurrence, est également à l’origine des très récentes perquisitions effectuées chez Legrand, Rexel, Sonepar et Schneider Electric à la suite des signalements transmis au parquet. À ceci s’ajoute le fait que l’agence et chargé de contrôler la mise en œuvre des programmes de conformité par les entreprises ayant signé une convention judiciaire d’intérêt public. Ainsi, depuis ses débuts, l’Afa a déjà accompli un travail remarquable regard du peu d’agents qui la composent.

Quels enseignements peut-on tirer des premiers contrôles ?

Une trentaine de contrôles ont déjà été lancés, concernant une vingtaine de sociétés privées et une dizaine d’entreprises publiques, de très grande taille et issues de secteurs à risques. Ces contrôles sont lourds pour les entreprises qui doivent présenter de nombreux documents et répondre à de très nombreuses questions, d’autant plus qu’ils peuvent s’étaler sur une durée de six mois.

Charles Duchaine a déclaré qu’il ressortait de ces premiers contrôles que la grande majorité des entreprises n’étaient pas encore prêtes à la loi Sapin 2 et qu’il leur restait donc beaucoup de travail à accomplir pour se mettre en conformité. Le premier bilan de ces contrôles ne semble ainsi guère satisfaisant pour l’Afa qui paraît toutefois vouloir laisser encore un peu de temps aux entreprises. On semble encore être dans une phase où, au regard de la relative nouveauté de la loi ainsi que de la complexité de sa mise en œuvre et de son coût, la mansuétude l’emporte sur la répression. La question qu’on peut se poser est jusqu’à quand ?

Rencontrez-vous des difficultés particulières dans l’application de votre politique de compliance ?

Le programme de conformité est coûteux et très lourd à installer car il faut tenir compte des huit mesures issues de l’article 17 de la loi Sapin 2. En tant que filiale d’une société américaine soumise au FCPA mais aussi au UK Bribery Act, nous avons eu de la chance de déjà disposer d’une culture de la conformité et des outils y afférents, tels le code de conduite par exemple. Nous ne sommes donc pas partis de rien, ce qui constitue un avantage appréciable. Il nous restait cependant un certain nombre d’éléments à mettre en place comme la cartographie des risques ou encore l’évaluation des tiers. Pour ce faire, nous avons procédé par étapes en prenant en compte à chaque fois autant que possible  les recommandations de l’Afa sur ces sujets afin de ne pas partir dans une mauvaise direction ni prendre les mauvaises décisions. Les recommandations de l’Afa sont cependant complexes et ont nécessité une méthodologie rigoureuse à mettre en œuvre pour concilier lesdites recommandations avec les spécificités de notre entreprise. Ceci a donc nécessité de mobiliser les équipes tant en amont de ce projet qu’en aval. Or, une ETI comme la nôtre est contrainte de fonctionner à iso effectif et nous n’avons recruté personne de spécifiquement dédiée à la conformité. Nous avons toutefois fait appel à un conseil externe pour nous aider.

« L’enjeu majeur est de protéger l’entreprise et ses salariés »

Quels programmes avez-vous mis en place afin de sensibiliser vos salariés aux risques de non-compliance ?

La conformité est l’affaire de tous, et même si certains professionnels sont plus exposés que d’autres, nous devons parvenir à un alignement des comportements dans l’entreprise sur ce sujet.

Nous avons donc mis en place des formations pour sensibiliser aussi bien les dirigeants et le top management que les opérationnels aux conséquences de la corruption. Cela nous permet de leur expliquer les enjeux, d’entrer dans les détails et de répondre directement à leurs questions de façon à ce qu’ils intègrent la compliance dans leurs activités au quotidien.

Nous faisons également une veille active de presse. Lorsque nous lisons un article concernant une affaire de corruption, par exemple, nous l’adressons aux managers les plus exposés, sous la forme d’« info news ». Cela leur permet de prendre conscience de l’importance du sujet. Donner des exemples concrets permet de frapper les esprits et de montrer que la corruption peut prendre différentes formes.

De plus, tous les ans, chaque employé doit obligatoirement suivre un e-learning sur le code de conduite de la société au cours duquel les éléments de la conformité y sont repris de façon simple et pédagogique. Nous avons également fait appel aux services de la legaltech Le droit pour moi pour concevoir une vidéo pédagogique sur la loi Sapin 2 diffusée à l’ensemble des salariés qui peuvent la visionner à tout moment. Les retours sont d’ailleurs très positifs et nous réfléchissons ainsi à réitérer cette expérience sur d’autres thématiques. Enfin, nous diffusons de façon régulière une newsletter « spécial conformité » à l’ensemble des collaborateurs de l’entreprise, sous un format très pédagogique et accessible de façon à continuer à les sensibiliser aux enjeux de la conformité.

Quelles sont, selon vous, les trois principales compétences que doit posséder un bon directeur de la compliance ?

Selon moi, il est du devoir du directeur de la compliance d’être particulièrement exemplaire dans l’entreprise, puisse qu’il y va de sa légitimité et de sa crédibilité. Ainsi, indépendamment des compétences techniques, je placerais l’intégrité comme première qualité que doit posséder un bon directeur de la conformité. Il est également très important qu’il cultive une certaine indépendance par rapport aux autres collaborateurs de l’entreprise. C’est la raison pour laquelle il est essentiel qu’il soit directement rattaché aux instances dirigeantes de la société, pour qu’il puisse être « au-dessus de la mêlée » comme l’indique l’Afa. Enfin, il doit être un bon communiquant car la compliance est l’affaire de tous. Il doit faire en sorte que chaque salarié de l’entreprise se sente investi par ces sujets.

Margaux Savarit-Cornali

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