Safran est une valeur qui porte le CAC 40 : depuis trois ans, sa capitalisation boursière a doublé pour atteindre plus de 40 MD€. Quel est donc la méthode de Philippe Petitcolin, cet ingénieur de formation arrivé aux commandes du groupe aéronautique en avril 2015 ? L'acquisition du fabricant de sièges Zodiac, conjuguée aux performances opérationnelles de chaque métier témoignent d’une stratégie opportuniste et gestionnaire.

 

Si 2016 était déjà un bon millésime pour Safran, 2017 est encore plus savoureux. Ce n'est pas le directeur général, Philippe Petitcolin, qui dira le contraire, lui qui a chaleureusement congratulé ses équipes dont le travail a permis à la société d'atteindre, voire dépasser, « tous ses objectifs grâce à une très bonne performance opérationnelle ». Les indicateurs comptables clés sont à la hausse (chiffre d'affaires, résultat opérationnel courant, résultat net, génération de cash flow...). Pour ne rien gâcher, le fabricant de moteurs d'avions a entériné l'OPA amicale sur son confrère Zodiac Aerospace (plus de 5 milliards d'euros de revenus). Safran, troisième groupe aéronautique mondial, a parfaitement négocié son décollage.

La croissance organique, cœur du réacteur

Lors du dernier exercice, les ventes de Safran ont pris de l'altitude : 1 903 moteurs d'avions court et moyen-courrier ont été livrés. Un record pour le groupe ! Ce chiffre est d'autant plus solide qu'il a été réalisé en pleine période de transition. En effet, la fabrication de propulseurs – son cœur de métier – connaît l'émergence du tout nouveau moteur Leap, destiné à équiper Boeing MAX, A320neo et C919 chinois. 459 exemplaires de ce bijou technologique (2,5 milliards d'euros de R&D) ont été expédiés contre 1 444 unités de l'aîné qu'il s'apprête à remplacer, le CFM56. En 2018, la production du Leap dépassera pour la première fois celle du CFM56.

En 2018, la production du Leap dépassera pour la première fois celle du CFM56.

Toujours en matière d'engins de propulsion, l'acquisition de douze Rafale supplémentaires par le Qatar, pour une commande initiale de vingt-quatre avions, a rempli le réservoir des ventes. Safran fournit, entre autres, le moteur M88 de l'avion de combat conçu par Dassault Aviation. Dans le même temps, la société basée dans le 15e arrondissement de Paris serait bien placée pour remporter, avec l'allemand MTU, le contrat de fabrication du moteur futur avion de combat franco-allemand. Globalement, la branche « moteurs » a apporté 9,74 milliards d'euros de revenus (+7,5 % par rapport à 2016) sur les 16,52 milliards d'euros au total (+ 7,4 %).

L'équipement aéronautique n'est pas en reste avec une croissance organique des ventes de 6,5 % à 5,42 milliards d'euros. La dernière gamme de turbines d'hélicoptères a été sélectionnée par Leonardo pour équiper son bimoteur AW189K. Quant à l'A330neo, les équipes de Philippe Petitcolin fournissent de nombreuses pièces de l'aéronef ; nacelle du moteur, trains d'atterrissage, roues, freins carbone, câblages et transmission de puissance du moteur (en partenariat avec Rolls Royce). Par ailleurs, Safran conserve son statut de leader mondial des freins carbone pour les avions de plus de 100 passagers. 1 300 avions ont pu en bénéficier l'an dernier, ce qui porte la base installée totale de freins à près de 9 000 avions. Enfin, les A320neo équipés de propulseurs Leap profiteront aussi des nacelles de moteur signées Safran.

Le troisième pilier du groupe est la défense. Celui-ci représente moins de 10 % du chiffre d'affaires de Safran mais il affiche la plus forte croissance parmi les sous-activités (8,9 % à 1,35 milliard d'euros). L'augmentation des contrats d'armement passés par le gouvernement français sur le territoire national et à l'étranger y a largement contribué. Les systèmes de guidage, drones et viseurs – les premières livraisons de jumelles multifonctions à destination de l'armée américaine ont eu lieu – se sont distingué tandis que les commandes de vol pour hélicoptères ont cédé du terrain.

Zodiac Aerospace, une acquisition à bonifier

L'industrie française a connu peu de rachats aussi emblématiques que celui de Zodiac Aerospace par Safran. Plus de 8 milliards d'euros de valeur d'entreprise. Plus de 20 milliards de chiffre d'affaires combiné. 200 millions d'euros de synergies annuelles envisagées. Une opération séduction entamée dès 2010. D'abord refusée puis consentie en 2016 après deux années de (grosse) galère financière chez Zodiac. Finalement, c'est le fonds activiste TCI – actionnaire de Safran à hauteur de 4,1 % – qui essaiera de faire capoter l'affaire, ne trouvant pas la mariée à son goût. Mais il existe des unions inéluctables. Au soir du 2 mars 2018, fin de la période d'apport des titres à l'OPA, Safran et Zodiac se disent oui. Le nouvel ensemble devient alors le numéro deux mondial des équipements pour aéronefs et le numéro trois du secteur aéronautique hors avionneurs. Le rapprochement est davantage stratégique que financier. La gamme de produits s'étoffe et s'équilibre entre l'équipement pur (capteurs d'avionique, systèmes électriques, transmission de données, trains d'atterrissage, sièges, toilettes...) et les activités de propulsion (moteurs, nacelles, génération et distribution de l'énergie...). Cette polyvalence doit permettre au groupe de mieux gérer les cycles de commandes des avionneurs, et de renforcer son pouvoir de négociation des prix. De plus, la clientèle de Safran (court et moyen-courrier) et de Zodiac (long-courrier) apparaît complémentaire.

Tout serait parfait si l'on en restait là. Safran, cependant, savait dès le départ que la mariée grèverait ses propres finances. Zodiac Aerospace n'est pas dans la forme de sa vie. L'arrivée d'Olivier Zarrouati en tant que président du directoire a certes bénéficié au groupe centenaire – sa valorisation a été multipliée par trois depuis 2007. Malgré cela, Zodiac reste enlisé dans ses problèmes de production de toilettes et de sièges d'avions.

Zodiac reste enlisé dans ses problèmes de production de toilettes et de sièges d'avions.

Sa situation inquiète : onze avertissements sur résultats en trois ans, dégringolade continue des revenus et de la marge... Cela ne laisse pas ses clients indifférents puisque Boeing, par exemple, l'avait rayé de sa liste de fournisseurs en raison de trop nombreux retards de livraison... Avant que Safran, il y a quelques semaines, négocie sa réintégration dans les petits papiers de l'avionneur américain. L'essence du partenariat Safran-Zodiac est peut-être ici. Zodiac va pouvoir profiter de la force de traction d'un groupe en pleine forme. Philippe Petiticolin reconnaît d'ailleurs que « des clients qui ne voulaient plus parler à Zodiac » reviennent petit à petit. Cela dit, il estime qu'il lui faudra encore 12 à 18 mois pour redresser la production et la rentabilité. Pour accélérer les choses, une absorption pure et dure de Zodiac est à l'étude.           

 

@ Firmin Sylla    

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