La réorganisation d'un groupe, en difficulté ou non, se fait de mille manières. L'une des plus significatives reste le M&A. Outre l'apport d'une activité existante, celui-ci vient modifier les caractéristiques humaines, financières, voire identitaires d'une entreprise. En la matière, le rapprochement entre la Fnac et Darty est un cas d'école. Pour l' « agitateur culturel » français, il dépeint la double nécessité de gagner en force de frappe sur un marché ultra-concurrentiel et de poser les bases d'un nouveau modèle de distribution au croisement du digital et des points de vente physiques.

 

C'est à prix d'or que l'un des belligérants de la « bataille de Darty », Alexandre Bompard, s'est offert l'enseigne spécialisée dans la vente de produits électroménagers. Celui qui est aujourd'hui aux commandes de Carrefour, un autre grand distributeur français, a rapidement gagné le siège de la cible britannique et obtenu sa reddition moyennant quelques pièces. Mais l'histoire aurait été trop belle, trop simple aussi, si une autre armée, celle du sud-africain Steinhoff et de sa filiale Conforama, n'était pas venue enrayer la mécanique tricolore. Une contre-enchère, puis une réaction de la Fnac ! Et ainsi de suite jusqu'au troisième croisement d'épées que la Fédération nationale des achats de cadres emporte. Depuis, le groupe dirigé par Enrique Martinez s'emploie tous azimuts à formaliser ses offres combinées « Fnac-Darty », à répondre aux exigences de l'antitrust, et à dépoussiérer son image de géant fatigué.

Gouvernance

D'Alexandre Bompard à Enrique Martinez. D'un comité exécutif à un autre. À l'aube du processus d'intégration de la cible, étape cruciale pour le bon déroulement de toute opération de fusion, il est surprenant de voir le grand artisan du rapprochement Fnac-Darty, M. Bompard, quitter l'entreprise. Pour Benoît d'Angelin, banquier conseil de la société lors des négociations, Alexandre Bompard n'en reste pas moins un « fantastique chef d'entreprise ».

Enrique Martinez, homme du sérail, porte la responsabilité du renouveau effectif. Présent dans les rangs de la Fnac depuis vingt ans, ce passionné de basket-ball a su gravir les échelons un par un et séduire tout son monde en interne : d'abord dirigeant d'un magasin en Espagne, M. Martinez a ensuite lancé la filiale portugaise avant de prendre en charge la péninsule ibérique et enfin la France avec l'Europe du Nord. Et c'est ainsi avec le soutien spontané des salariés qu'il est promu patron de ce groupe qu'il a vu grandir au point de peser sept milliards d'euros de revenus.

Si le profil du nouveau commandant de bord ne surprend pas, la composition de son état-major a suscité quelques interrogations. Mathieu Malige, le directeur financier également pressenti pour le poste de DG, a rejoint M. Bompard chez Carrefour alors que celui-ci avait garanti à la famille Pinault qu'il n'emmènerait personne dans ses valises... Chemin suivi également par le directeur de la communication, Laurent Glépin. Ces départs ont respectivement été compensés par les arrivées de Jean-Brieuc Le Tinier (ex-Korian) et Benjamin Perret (ex-ADP). Ces flottements ont pourtant nourri des inquiétudes à l'heure d'une intégration à peine engagée. Aussi, les anciens de Darty ne comptent que pour 25 % de l'actuel Comex, cela suffit à générer frottements et frustrations dans les hautes sphères du management.

Les anciens de Darty ne comptent que pour 25 % de l'actuel Comex, cela suffit à générer frottements et frustrations

Tout n'a pourtant pas été chamboulé puisque le groupe a conservé, à des postes clés, des anciens de la maison : Alexandre Viros au marketing et à l'e-commerce, Olivier Theulle aux opérations ou encore Frédérique Giavarini aux ressources humaines.

Finance

L'alliance Fnac-Darty a pris un « excellent départ » comme l'écrit Alexandre Bompard dans sa lettre d'adieu aux salariés. C'est « une très bonne opération pour les deux groupes » explique Benoît d'Angelin avec du recul. Indicateur parmi d'autres, le cours de l'action a presque doublé et la valorisation de Fnac-Darty se situe désormais autour de 2,5 milliards d'euros. De leur côté, les synergies espérées ont pris de l'avance : 130 millions d'euros par an à l'horizon 2018. De toute évidence, « sans cette fusion, l'avenir des deux acteurs aurait été bien plus délicat face à la concurrence d'Amazon », ajoute le banquier d'affaires.

Mais il est clair que l'opération ne s'est pas faite au rabais. La faute à Conforama qui s'est immiscé dans les négociations « contre toute attente », alors même que les synergies envisagées étaient « bien moins pertinentes qu'avec la Fnac » selon Benoît d'Angelin, l'ancien d'Ondra Partners.

Qu'importe, l'armée de conseils s'est retroussée les manches afin de retrouver la confiance des actionnaires de Darty, d'abord séduits par l'offre en « cash only », et plus généreuse, du distributeur de meubles Conforama. Alors en position très favorable, « Steinhoff aurait pu remporter le duel haut la main s'il n'avait pas crû avoir déjà gagné », confie M. d'Angelin. Puis les choses s'accélèrent : la Fnac reçoit un ticket en capital de Vivendi et lève de la dette afin de formuler son offre en cash only. Mais, nouveau rebondissement, Steinhoff, au courant de la réponse financière en préparation, se précipite sur le marché pour acheter près de 30 % de titres Darty. Il ne reste plus qu'une seule carte à jouer côté français, celle de l'offre finale et irrévocable à prix fixe. Bingo !

Steinhoff aurait pu remporter le duel haut la main s'il n'avait pas crû avoir déjà gagné

Coup de maître d'Alexandre Bompard qui saisit cette opportunité pour repositionner son groupe au cœur du marché de la distribution spécialisée, et redonner confiance à plus de 26 000 collaborateurs dans dix pays. Chose rare dans ce genre d'affaires, l'emploi ne devrait pas être affecté par cette opération.

La confiance. C'est aussi ce qui a motivé le rachat de la participation d'Artémis (holding d'investissement de la famille Pinault) dans Fnac-Darty par l'allemand Ceconomy en juillet. L'ancienne branche du groupe Metro a déboursé 452 millions d'euros pour s'adjuger le quart du capital (24,33 %) et devenir l'actionnaire principal. Artemis, partenaire depuis 1994, sort par le haut puisque la valeur de l'entreprise a nettement progressé depuis la fusion avec Darty. Quant à l'acquéreur, numéro un européen de la distribution de produits électroniques (Media Markt, Saturn, Redcoon), c'est un moyen de renforcer son core business et d'attaquer le cœur et l'ouest de l'Europe alors que son chiffre d'affaires est dépendant des régions germanophones à hauteur de 58,5 %. Pour le moment, aucune synergie n'est prévue entre la maison-mère et la participation.

Activités

Fnac-Darty, c'est la culture au sens large (livres, spectacles, musique...), l'électronique grand public, l'électroménager et la cuisine. Comment créer un ensemble cohérent et générateur de profits ? C'est toute l'ambition du plan stratégique « Confiance+ », présenté par Enrique Martinez en fin d'année. En bref, pour atteindre les synergies de 130 M€ et 4,5 à 5 % de marge opérationnelle annuelle, cela passera par beaucoup d'ouvertures de points de vente, quelques acquisitions ciblées, une combinaison pertinente de l'offre des deux enseignes (en magasin comme sur Internet), et une ouverture croissante du réseau aux tiers. 

Les magasins Fnac et Darty se métamorphosent, consacrant le concept de « shop-in-shop »

Sur le premier point, Enrique Martinez prévoit d'ouvrir 200 magasins au cours des prochaines années en France comme à l'international pour les deux enseignes. La franchise est le mode prioritaire de développement. Le directeur général défend un modèle hybride physique-digital paritaire – les ventes en ligne ne sont que de 16 % aujourd'hui. Aux détracteurs qui remettent en cause l'agilité de son groupe face à la logistique d'Amazon par exemple, il répond : « Nous sommes capables de livrer en moins de deux heures l'ensemble du catalogue magasin. Amazon parle des drones. Moi, je parle des choses que nous faisons tous les jours » (Challenges, 4/12/2017).

Côté produits, aucune catégorie ne sera délaissée même si l'accent sera mis sur le blanc, le gros électroménager, là où Darty a le plus de potentiel. Les magasins Fnac et Darty se métamorphosent, consacrant le concept de « shop-in-shop ». On retrouve des articles de l'un chez l'autre et inversement, et les abonnements de livraison deviennent communs.

Par ailleurs, Enrique Martinez mise sur toujours plus d'ouverture, appliquant son credo de « confiance » auprès des concurrents. La mutualisation des achats entre Fnac-Darty et Carrefour est un exemple : loin d'être un cadeau de départ offert par Alexandre Bompard à son ancienne entreprise, cet accord est essentiel pour réduire les coûts d'achat des téléviseurs et autres machines à laver. De plus, M. Martinez souhaite ouvrir son outil logistique à d'autres partenaires sur le modèle d'Amazon. « Il faut assumer que d'autres aient de bonnes idées » a-t-il rappelé.

Pourtant, ce projet de fusion Fnac-Darty, comme celui de plate-forme commune d'achat d'équipement avec Carrefour, sont dans le viseur de l'Autorité de la concurrence. La fusion pourrait conduire la société basée à Ivry-sur-Seine au versement d'une indemnité pouvant aller jusqu'à 5 % de ses revenus, les cessions de trois magasins en région parisienne n'ayant toujours pas été réalisées. Les voies du M&A, de l'hyper-croissance et de la transformation, ne sont pas sans embûche. Enrique Martinez, confiant, est averti.

 

NB : pour en savoir plus sur l'arrivée de SFAM au capital de Fnac-Darty, suivez ce lien.

 

@ Firmin Sylla

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