Michael Julian (Alstom) : « La procédure d’alerte ne doit pas être vue comme un instrument de délation »
Décideurs. Quels sont vos domaines d’intervention ?
Michael Julian. L’enjeu principal de l’équipe conformité est la lutte contre la corruption. L’activité d’Alstom est presque à 100 % une activité de marché public. Le risque de corruption est donc très élevé au regard de sa nature et de sa couverture géographique. L’entreprise est présente dans le monde entier et les pays en voie de développement représentent un marché à fort potentiel de croissance avec les risques que cela comporte.
Nous sommes également chargés de mettre en place un dispositif de protection des données à caractère personnel avec l’entrée en vigueur du règlement européen sur le sujet en mai 2018. J’ai donc dans mon équipe des spécialistes de la matière qui travaillent main dans la main avec le département IT du groupe sur le côté technique.
En 2015, Alstom a été condamné par la justice américaine pour des faits de corruption. Qu’avez-vous entrepris pour éviter qu’une telle situation se reproduise ?
Nos affaires avec la justice remontent au début des années 2000 et notre démarche de mise en place des dispositifs de conformité date de la même époque. En prenant les rênes de la direction de la compliance en 2015, j’ai hérité d’un programme qui était déjà très mature et bien développé grâce notamment aux trois ans de monitoring de la Banque mondiale sur Alstom. Nous avons donc pris tous les dispositifs existants et les avons continuellement améliorés. En 2015, nous avons définitivement refermé nos affaires avec la justice américaine, ce qui s’est soldé par le paiement d’une amende pénale de plus de 770 millions de dollars et par la condamnation de plusieurs managers d’Alstom. Nous trouvions donc cela normal d’essayer d’obtenir une certification ISO reconnue partout dans le monde afin de tester notre dispositif de management anticorruption mais aussi afin de véhiculer un message positif auprès de nos partenaires, clients et salariés.
« La loi Sapin 2 est une belle évolution du droit français »
Avez-vous mis en place des formations spécifiques dédiées à la lutte contre la corruption pour vos salariés ?
Chaque nouveau salarié du groupe doit suivre une formation en ligne sur l’éthique au sein d’Alstom, et non uniquement sur l’anticorruption. Nous organisons des campagnes de deux ans pour former les employés les plus exposés au risque de corruption, soit environ cinq milles personnes, et nous proposons également des formations non obligatoires qui répondent aux besoins spécifiques de certaines fonctions.
Rencontrez-vous des difficultés dans l’application de votre politique de compliance ?
En ce moment, nous travaillons sur notre procédure d’alerte que nous essayons de promouvoir auprès de nos salariés et des tiers. Cet outil ne doit pas être vu comme un instrument de délation mais comme un moyen comme un autre pour communiquer avec l’équipe conformité. Aux États-Unis, ce dispositif est connu et accepté. En Europe, les barrières historiques et culturelles empêchent les salariés d’utiliser cet outil pourtant très utile. Nous faisons un important effort de communication et de sensibilisation pour faire évoluer les mentalités. Avec la loi Sapin 2, les entreprises sont désormais obligées de mettre en place ce dispositif. Au sein d’Alstom, nous l’avons déjà depuis 2013. Nous avons donc pris un peu d’avance sur le sujet.
Quel a été pour vous l’impact de la loi Sapin 2 ?
Je me félicite tout d’abord du niveau de sérieux accordé au sujet de la corruption en France et de son message renvoyé au monde. Cette loi est une évolution très positive pour notre activité. Sortant de trois ans de monitoring de la Banque mondiale en plus des efforts réalisés auparavant, la loi Sapin 2 est donc pour nous la simple continuation d’un processus déjà mis en place.
Vous êtes également avocat au barreau de New York. Selon vous, la loi Sapin 2 est-elle une copie du FCPA ?
Cette loi est une belle évolution du droit français qui garde les valeurs de son système juridique, tout comme le FCPA répond très bien au système américain. Les deux lois répondent à un même besoin et partent d’un même principe, chacun avec ses spécificités.
« L’activité de directeur de la compliance est dans l’air du temps »
Comment percevez-vous la création de l’Agence française anticorruption (AFA) ?
Avoir une agence dédiée à la lutte anticorruption est un atout majeur pour les sociétés françaises. Nous avons déjà eu des contacts avec des agents de l’AFA qui nous ont communiqués non pas uniquement un message de répression, mais également de conseil. Elle poursuit donc bien l’activité de l’ancien Service central de prévention de la corruption (SCPC).
Qu’est-ce qui vous plaît dans votre métier ?
Ce que j’aime le plus dans cette activité est le fait de rencontrer toutes les fonctions de l’entreprise. La conformité est l’affaire de tous et nous avons vocation à être à l’écoute de nos collègues et à nous mettre à leur disposition.
Selon vous, quel est le profil d’un bon directeur de la conformité ?
Avoir une bonne vision de l’entreprise, comprendre son ADN et savoir comment elle travaille est essentiel. Le directeur de la conformité apporte une vision globale aux problèmes et aux questions très spécifiques qui se présentent à lui.
Comment voyez-vous l’évolution de votre métier au cours des prochaines années ?
L’activité de directeur de la compliance est en pleine évolution, en forte croissance, avec un avenir à long terme, et ne concerne pas uniquement la corruption. Il ne faut pas oublier la nouvelle loi sur le devoir de vigilance qui reprend les mêmes mécanismes que ceux que nous avons mis en place dans notre démarche conformité et anticorruption. C’est dans l’air du temps mais également une nouvelle façon d’apporter des réponses aux vides et aux risques juridiques auxquels sont confrontées les sociétés.
Propos recueillis par Margaux Savarit-Cornali