Alain Bazot (UFC Que Choisir) « Le consommateur est désormais face à un univers dont il se méfie »
Décideurs. UFC Que choisir existe près de 70 ans. Sa vocation a-t-elle évolué au fil du temps ?
Alain Bazot. Tout à fait. À l’origine, ce sont les tests de produits – réalisés à très grande échelle et en totale indépendance – qui ont fait le succès de l’association. Aujourd’hui, elle a pour triple vocation d’informer, mobiliser et alerter et cette dernière dimension ne cesse de se renforcer depuis que nous sommes entrés dans une société de l’hyperchoix qui rend certains domaines de la consommation anxiogènes ; l’alimentation étant l’un de ceux qui suscitent le plus de défiance.
Dans ce contexte de suspicions accrues, votre association joue-t-elle un rôle de lanceur d’alerte ?
Je dirais même que c’est devenu notre vocation prioritaire, en réponse aux attentes des consommateurs qui suspectent que, derrière l’affichage de valeurs, perdurent des pratiques cachées et veulent les voir révélées. Les marques multiplient les allégations – beauté, santé, protection de l’environnement... – mais le public n’est plus dupe de cet afflux de promesses. Il est désormais face à un univers dont il se méfie, qu’il soupçonne de dissimulation, voire de mensonges. Cela réoriente notre mission vers un travail d’investigation et, chaque fois que c’est nécessaire, de lanceur d’alerte. Comme cela a été le cas lorsque nous avons découvert et révélé la présence de Bisphénol A dans certains biberons.
Pourquoi une telle défiance à l’égard des marques ?
En grande partie parce que le consommateur n’a plus aucune certitude sur la composition et l’origine de ce qu’il achète. Cette question de traçabilité et de transparence est au cœur des problématiques actuelles. Or les marques font tout pour maintenir une forme d’opacité, soit en rendant la composition de leurs produits incompréhensible soit en la maintenant incomplète. Cette attitude est typique de l’industrie alimentaire dont nombre d’acteurs persistent à avancer masqués en n’assumant pas la composition de leurs produits. Elles ne comprennent pas que le consommateur a changé : il ne veut plus qu’on le fasse rêver, il veut qu’on l’informe. Il veut de la transparence. C’est pourquoi un de nos principaux combats porte sur l’information. Pas celle contradictoire et peu fiable qui circule sur internet ; celle, précise et pertinente, qui doit figurer sur les emballages.
Quels sont vos combats prioritaires aujourd’hui ?
Ils portent essentiellement sur les substances indésirables que l’on retrouve aussi bien dans les fournitures scolaires que dans les produits d’hygiène beauté. Nous venons de publier une liste de plus de mille produits, certains de grandes marques – parfums, gels douche, vernis, déodorants… – contenant ces substances à risque. Un autre important dossier à venir portera sur la collecte des données qui va émerger avec la vague des objets connectés. Dans tous les cas, notre rôle ne se limite pas à dénoncer une situation abusive ou mensongère. Il consiste aussi à proposer des solutions ; à interpeler les pouvoirs publics avec des propositions concrètes.
Votre action est donc susceptible d’impacter l’économie ?
Effectivement. Nous nous substituons parfois aux autorités de contrôle pour déclencher l’alerte. Cela nous confère une utilité sociale et économique puisque nous dénonçons régulièrement les situations de rentes qui s’installent lorsque la concurrence est inexistante et le consommateur captif – ce que nous avons fait il y a quelques années en nous attaquant au SMS facturé 15 centimes à l’abonné alors qu’il ne coutait presque rien à l’opérateur. Ce type de pratiques plombe l’économie. Les dénoncer et les combattre revient à redynamiser la demande et donc, à mener une action de régulation.
Propos recueillis par Caroline Castets