Cent millions d’euros : l’enveloppe consacrée à la formation chez Safran ferait rêver plus d’un directeur de la formation. Jean-Luc Bérard, DRH du groupe, a choisi de mettre les moyens. Formation et ingénierie, un duo indissociable ?

Décideurs. Safran est l’un des acteurs qui consacrent le plus important budget à la formation. Quels enjeux motivent un tel investissement ?

 

Jean-Luc Bérard. Safran est un groupe de haute technologie. Cette caractéristique suppose que nous soyons en permanence au meilleur état de l’art. Ainsi, former n’est pas une possibilité mais bien une obligation pour nous. D’autant que les techniques de production évoluent constamment. Par ailleurs, dans l’aéronautique, nous terminons le développement de grands programmes et passons à la phase d’industrialisation. Cela nécessite la sécurisation de chaque étape du projet par le meilleur niveau de compétences. Le besoin de formation contribue également au développement permanent de nos collaborateurs et au soutien de leur employabilité. Outre un catalogue très large de formations techniques (traitement de signal, technologies numériques…), Safran University œuvre à la construction de parcours par grands métiers. Nous proposons également des sessions dédiées au management ou d’autres encore plus générales qui concernent toutes les fonctions supports. Enfin, le secteur nous impose des enjeux de conformité, de sécurité ou encore réglementaires. Nous investissons à ce titre entre 4 % et 5 % de la masse salariale en formation car nous la considérons comme un investissement et non comme une dépense.

 

Décideurs. Vous avez ouvert un campus Safran en 2014. Quelle est sa vocation ?

 

J.-L. B. Former a toujours été une constante et une priorité chez Safran. Il y a cinq ans, nous avons décidé de créer Safran University puis notre campus : cela correspondait à la volonté du groupe de se doter d’un outil puissant au service de la transformation du groupe, du développement de ses talents et de sa compétitivité. Le campus est aujourd’hui un lieu de formation - 200 000 heures de formations y sont données sur les 1,6 million d’heures de formation délivrées chaque année dans le monde - mais il est aussi un lieu d’échanges et de rencontres entre les collaborateurs venus de différentes entités de divers pays et qui opèrent pour plusieurs métiers ou fonctions. La vocation du campus est de renforcer la communauté Safran autour de formations de grande qualité destinées à tous nos collaborateurs. Nous avons ainsi pris le parti de monter plusieurs partenariats avec des écoles ou des universités de renom en France et à l’étranger. Cela nous permet de surcroît d’asseoir notre notoriété, notamment grâce à un réseau de collaborateurs ambassadeurs qui établissent une relation forte entre le groupe et leur établissement d’origine, et ce partout dans le monde. Plusieurs de nos formations sont par ailleurs labellisées. Enfin, nous avons développé des cycles de conférences sur des sujets originaux philosophiques ou scientifiques, sur le fonctionnement du cerveau par exemple, ce qui contribue à une formation ouverte générale. Ce campus est une vraie réussite.

 

Décideurs. Comment avez-vous intégré les évolutions digitales dans les programmes de formation ?

 

J.-L. B. L’université doit se déployer de sorte qu’elle soit accessible par tous nos salariés. C’est pourquoi nous avons choisi de développer des formations digitalisées (e-learning, Mooc, Spoc, etc.) accessibles depuis l’intranet... Mais si chez Safran ces formations numériques existent depuis longtemps, elles ne remplaceront, selon moi, jamais totalement les rencontres physiques, les échanges porteurs de sens. Une formation est bien plus riche en présentiel que suivie au travers d’un écran.

 

Décideurs. Vous avez mis en place l’experimental learning. Pouvez-vous nous en dire plus ?

 

J.-L. B. L’un des sujets majeurs en matière de formation est l’expérimentation, le passage à la pratique. Bien souvent, les stagiaires ressortent un peu frustrés des sessions théoriques dont ils retiennent finalement peu de choses. Dans les comptes rendus, c’est d’ailleurs l’ambiance et les rencontres faites lors de la formation qu’ils valorisent, plus que le contenu. La mise en situation permet d’avoir plus d’accroche dans l’esprit des collaborateurs. Ainsi, l’experimental learning permet de rendre les stagiaires le plus actif possible. Ils découvrent non seulement leurs limites mais aussi des capacités qu’ils ignorent. Je suis convaincu que l’efficacité d’une formation repose sur sa réalité concrète. Nous essayons donc d’adapter cette méthode dans les domaines de formation qui s’y prêtent le plus.

 

Décideurs. De nouveaux métiers émergent dans votre secteur, des compétences rares sont requises. Quel est votre plan d’action pour répondre à ces enjeux ?

 

J.-L. B. Il est vrai que l’automatisation et la numérisation notamment font évoluer les métiers tant de production que de R&D. Mais la rupture n’est pas brutale. Et nous avons anticipé ces changements et ses conséquences, notamment la reconversion des personnels concernés. Nous allons devoir les adapter à de nouveaux métiers. Toutefois, il reste certaines questions auxquelles peu d’industriels sont aujourd’hui capables de répondre. Quel sera l’impact exact du numérique sur l’industrie ? Dans le secteur des services, les applications immédiates sont très nettes. En revanche, quels seront nos métiers de demain chez Safran ? De plus en plus d’opérations sont automatisées mais un contact physique avec les pièces reste encore nécessaire sur des lignes de production. Nous allons également vers du pilotage et du contrôle plutôt que vers de l’exécution directe. Cette période d’analyse doit être mise à profit pour évaluer les investissements nécessaires aux métiers de demain.

 

Propos recueillis par Julie Atlan

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