Perçu comme un acquis non négociable par les cadres, le télétravail est de plus en plus régulé par les dirigeants, qui l’accusent entre autres de générer des baisses de productivité. Entretien avec Emmanuelle Germani, DRH du groupe KP1 et vice-présidente nationale de l’Association nationale des DRH (ANDRH), pour tout comprendre de ce rétropédalage de la part de certaines entreprises et penser le travail hybride de demain.

Décideurs. Quelles sont les tendances actuelles concernant le télétravail ? Disposons-nous d’études prouvant une perte de productivité lorsqu'il est mis en place ?

Emmanuelle Germani. Les études sur le lien entre productivité et télétravail donnent des résultats nuancés, sans pour autant être contradictoires. Les conclusions varient selon la nature des tâches, avec des gains clairement identifiés mais aussi des points d’achoppement.  Par exemple, en métropole, le télétravail peut supprimer des trajets chronophages et ainsi accroître l’efficacité. Il est également gage de meilleures performances pour les activités nécessitant de la concentration. À l’inverse, travailler à distance ne permet pas toujours la même fluidité d’échanges, ce qui peut nuire à la collaboration et à la créativité nécessaire à certaines missions. Les analyses se complètent et mettent en avant l’enjeu de la perception des missions et des tâches pour lesquelles il est recommandé de travailler ou non à distance.

"Il est encore trop tôt pour considérer le télétravail comme un acquis social, notamment car il ne concerne pas l’ensemble des actifs"

La France connaîtra-t-elle un recul du travail à distance, comme aux États-Unis ?

Les entreprises qui font marche arrière sont notamment celles ayant misé sur le télétravail intégral. En France, la position des DRH et de l’ANDRH est plutôt claire : il s’agit de trouver un équilibre entre télétravail et présence au bureau. Cette approche modérée tend à favoriser la performance des organisations, tout en contribuant au bien-être des salariés. Rappelons que le passage au télétravail complet a été rendu nécessaire par la crise sanitaire, et ne relevait pas d’un choix stratégique des organisations. Les directions ont rapidement adopté une moyenne de deux à trois jours de télétravail par semaine. Quand certains dirigeants envisagent un recul, il porte en général sur le nombre de jours télétravaillés et sur l’importance d’un temps de présence au bureau afin de consolider le collectif.

"Le travail à distance peut révéler des carences managériales, il peut servir à révéler les faiblesses organisationnelles déjà présentes"

Le statut du télétravail est-il aussi à revoir ? S’agit-il vraiment d’un acquis social ?

Il est encore trop tôt pour considérer le télétravail comme un acquis social, notamment car il ne concerne pas l’ensemble des actifs. Actuellement, il est encadré par des accords collectifs, voire des chartes. Néanmoins, il représente un véritable acquis psychologique, surtout pour les cadres qui y sont très attachés. Selon les chiffres de l'APEC, 45 % des cadres seraient prêts à changer d’entreprise s’ils ne pouvaient plus télétravailler. Il sera intéressant d’observer si les syndicats et les branches professionnelles s’emparent de cette question. Il ne fait plus de doute que la flexibilité conquise grâce au travail hybride constitue un levier important dans le rapport de force entre employeurs et salariés, et peut générer des tensions au sein des organisations.

Est-ce l’occasion de repenser notre manière de manager à distance ?

Pour ce qui est du management en télétravail, il est certain qu’une bonne maîtrise des outils numériques s’avère essentielle. À présent, la majorité des entreprises n’en sont plus au stade des premiers balbutiements et les usages sont acquis. Je ne pense pas qu’il existe une méthode de management spécifique au télétravail, distincte de celle du présentiel. En revanche, le travail à distance peut révéler des carences managériales, il peut servir à révéler les faiblesses organisationnelles déjà présentes.

Propos recueillis par Elsa Guérin 

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