La conciliation entre vie personnelle et professionnelle occupe largement le débat public lié au travail. Logiquement, la semaine de quatre jours suscite un intérêt de plus en plus vif dans l’espace médiatique et s’immisce au sein de l’agenda politique. Stéphane Viry, député du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) et membre de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale, est l’auteur d’un rapport découlant d’une mission d’information sur le sujet. Il nous en présente les principales conclusions.

Décideurs. Pourquoi avoir voulu consacrer un rapport à la semaine de quatre jours ?

Stéphane Viry. Nous sommes plusieurs députés à partager le sentiment que la question du travail n’est pas suffisamment mise en avant dans les débats parlementaires, alors même qu’elle est au cœur des mutations que traverse actuellement notre société. Le travail est en constante évolution, sous l’effet de nombreux facteurs : mutations économiques, progrès techniques, changements dans l’organisation des entreprises, mais aussi des attentes des salariés, de plus en plus sensibles à l’équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. En réalité, la pandémie de Covid-19 a aussi accéléré ces réflexions. Le télétravail a bouleversé les modes d’organisation et a poussé à une réévaluation du rapport au métier, notamment en ce qui concerne le temps passé en entreprise et l’importance de l’épanouissement personnel.

Nous avons ainsi lancé une mission d’information parlementaire pour explorer la faisabilité de la semaine de quatre jours, sans réduction du temps de travail – plus communément appelée semaine en quatre jours. Cette initiative vise à mieux comprendre ce modèle, à travers des expérimentations déjà menées en France et à l’étranger. Nous souhaitions recueillir des témoignages d’entreprises ayant adopté ce dispositif, analyser leurs retours d’expérience et voir comment une telle organisation pourrait être étendue plus largement, tout en respectant la diversité des secteurs économiques. Notre objectif était d’apporter des éléments concrets au débat public et d’éclairer les choix qui s’offrent à nous sur l’avenir du travail en France.

"Ce n’est plus seulement un enjeu économique, c’est une véritable question de société"

Vous avez présenté ce rapport à l’Assemblée nationale le 16 octobre. Comment a-t-il été reçu ?

J’ai été surpris de voir que le rapport était plutôt bien accueilli. Je m’attendais à davantage de réticences, voire d’oppositions dogmatiques sur un sujet aussi crucial. Pourtant, mes collègues ont su faire preuve de pragmatisme. Ce n’est plus seulement un enjeu économique, c’est une véritable question de société : comment permettre aux salariés de s’épanouir en étant moins présents physiquement sur leur lieu de travail, sans pour autant diminuer leur productivité ? La semaine de quatre jours ne doit pas fragiliser la performance économique des entreprises. Il faut donc articuler des mesures qui respectent à la fois les droits des salariés et les impératifs de rentabilité.

Dans le cadre de la mission, nous avons étudié des cas concrets d’entreprises qui ont fait le choix de la semaine de quatre jours. Ce sont ces retours d’expérience qui ont convaincu une partie des parlementaires, car ils démontrent que la semaine de quatre jours peut représenter l’occasion d’améliorer l’attractivité des métiers, en particulier dans des secteurs en tension.

"Plusieurs entreprises industrielles ou du BTP ont mis en place la semaine de quatre jours avec succès"

Ce dispositif est-il mieux adapté à certains secteurs qu’à d’autres ?

À première vue, le secteur tertiaire semble plus propice à l’adoption de ce modèle, car il s’appuie souvent sur des emplois plus flexibles, dans des bureaux ou des environnements digitaux. Cependant, nos investigations ont montré que des domaines plus traditionnels, comme les travaux publics ou même l’industrie, peuvent aussi adopter ce dispositif sans compromettre leur productivité. De fait, plusieurs entreprises industrielles ou du BTP ont mis en place la semaine de quatre jours avec succès. Ce qui semble poser problème n’est donc pas tant le secteur d’activité que la taille de l’entreprise. Les grandes structures, avec des processus plus complexes et une structure hiérarchique plus lourde, peuvent rencontrer davantage de difficultés pour adapter leur organisation. En revanche, les PME, souvent plus agiles, ont plus de facilités à intégrer ce dispositif.

Vous mettez l’accent sur l’importance des accords collectifs et des phases expérimentales. Pourquoi ces étapes sont-elles cruciales ?

Je crois fermement que la semaine de quatre jours ne peut être imposée de manière uniforme : elle doit être expérimentée pour s’adapter aux réalités de chaque entreprise. Nous avons constaté, au travers des auditions et des retours d’expérience, que ce système ne fonctionne pas toujours, même lorsque tout le monde semble y être disposé. J’ai en tête l’exemple marquant d’une grande compagnie d’assurances où tous les collaborateurs, du management aux employés, y étaient favorables, mais qui, au bout de cinq mois, ont fait marche arrière. Cela montre bien qu’il faut du temps pour ajuster le dispositif.

C’est la raison pour laquelle je défends l’idée que la semaine de quatre jours doit reposer sur des accords d’entreprise. Ces accords assurent une expérimentation encadrée, avec des phases d’évaluation et des ajustements progressifs. Chaque entreprise étant unique, il est essentiel que ce modèle constitue une chance et non une contrainte. Si l’expérimentation réussit, tant mieux ; sinon, il faut qu’il soit possible de revenir en arrière ou de réajuster l’organisation. C’est pour cela que je suis réticent à l’idée d’une législation générale et contraignante sur ce sujet. Il vaut mieux laisser les entreprises et les partenaires sociaux expérimenter à leur rythme. 

"Une fois que le modèle est mis en place et qu’il fonctionne bien, personne ne souhaite revenir à l’ancienne organisation"

Justement, comment les représentants syndicaux et patronaux perçoivent-ils cette initiative ?

Les réactions varient selon les échelons. Au niveau national, les organisations patronales ont exprimé des réserves, principalement par crainte que la semaine de quatre jours ne devienne une obligation légale. Elles veulent conserver une certaine souplesse et leur liberté dans l’organisation du travail. Quant aux syndicats, ils ne se sont pas véritablement saisis de cette question pour en faire une revendication prioritaire. Il semble que, pour eux aussi, ce ne soit pas encore un domaine sur lequel ils souhaitent s’investir pleinement.

Cependant, à un niveau plus local, après quelques mois d’expérimentation, certaines entreprises et leurs syndicats ne veulent plus revenir en arrière. Il est intéressant de voir qu’une fois que le modèle est mis en place et qu’il fonctionne bien, personne ne souhaite revenir à l’ancienne organisation.

Quels critères les entreprises devraient-elles suivre pour juger du succès de la semaine de quatre jours ?

Pour qu’une entreprise considère que la semaine de quatre jours est un succès, elle doit avant tout mesurer si le travail est réalisé avec la même qualité et dans les mêmes délais qu’auparavant. Il est crucial que la productivité soit maintenue, voire améliorée, car sinon le modèle n’est pas soutenable sur le long terme. Il faut aussi s’assurer que ce mode d’organisation n’entraîne pas une détérioration des conditions de travail. La question de la santé en milieu professionnel est primordiale : les entreprises doivent veiller à ce que les salariés ne subissent pas plus de stress ou d’épuisement.

Nous avons consulté des professionnels de la santé au travail, et bien que certains soient plutôt enthousiastes, d’autres restent prudents, car nous n’avons pas encore assez de recul pour juger des effets à long terme. Il faut donc évaluer non seulement la productivité, mais aussi les effets sur le bien-être des salariés, leur équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle, ainsi que leur santé mentale.

Avez-vous d’autres projets concernant l’emploi et la transformation du marché du travail en France ?

Au-delà de la semaine de quatre jours, je suis également très préoccupé par la question du maintien ou du retour à l’emploi des salariés expérimentés. Nous avons beaucoup parlé des jeunes, mais les seniors rencontrent de grosses difficultés sur le marché du travail. Il est urgent de réfléchir à des dispositifs incitatifs pour favoriser leur maintien dans l’emploi, car sinon une part précieuse de la population active continuera d’être exclue.

Concernant l’assurance chômage, je ne pense pas que réduire les indemnités soit une solution viable à long terme. Il faut au contraire construire un véritable parcours d’insertion efficace qui offre aux demandeurs d’emploi une chance de réintégrer le marché du travail. Malheureusement, je ne constate pas de volonté politique forte pour transformer en profondeur le système actuel. Il faudra bien un jour que les décideurs politiques, actuels comme futurs, s’emparent de ces enjeux avec ambition.

Propos recueillis par Cem Algul

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