Aux côtés de sa cofondatrice Florie Ducamp Albert, Prune Aubry est depuis 2019 à la tête de l’équipe de quinze collaboratrices qui font exister la marque de lingerie We Are Jolies. Un projet au féminin qui vient de passer un cap avec la formalisation d’une politique RH protectrice et sans tabous, incluant l’ensemble des problématiques corporelles (menstruations, PMA, IVG, fausse couche, ménopause) que traversent les femmes tout au long de leur vie.

 Décideurs. D’où part l’engagement de We Are Jolies pour la santé de ses salariées ?

Prune Aubry. Nous sommes deux femmes, jeunes, blondes, et nous avons créé une entreprise qui fabrique des culottes : autant dire que nous avons été confrontées à plus d’une remarque sexiste et que cela nous a menées à défendre les femmes avec une ardeur redoublée.

We Are Jolies est une marque pour les femmes, pensée par une équipe composée uniquement de femmes et en ultracroissance. Bien avant que le body positive prenne son essor, nous avons toujours présenté la variété des corps des femmes sur nos affiches, sans effacer la cellulite ou les vergetures, et sans choisir des mannequins "standards". Dans ce contexte, il nous semblait évident d’aménager aussi l’entreprise selon la réalité concrète de nos salariées.

Comment avez-vous structuré cette politique RH ? Quelles ont été les étapes de votre réflexion, puis de votre passage à l’action ?

Tout est venu à la fois de nous et des salariées que nous invitons dans nos réflexions. C’est de là qu’a émergé une réflexion sur le congé menstruel : aucun cadre institutionnel n’est aujourd’hui proposé, mais nous voulions penser à une modalité pour l’instaurer. Au-delà de ça, il fallait réfléchir aux femmes qui n’ont plus leurs règles et sont ménopausées, sans oublier d’autres réalités : celles qui veulent des enfants, mais qui se retrouvent dans de longues PMA, qui vivent des arrêts naturels de grossesse, ou qui souhaitent au contraire recourir à une IVG.

Nous nous sommes donc réunies, Florie et moi, avec une coach qui nous a aidées à la structuration RH de la société, afin de nous assurer qu’elle tienne compte du fait que la vie des femmes est jalonnée d’événements que les hommes ne traversent pas.

Enfin, notre statut de start-up nous offre le luxe de pouvoir aller vite : nous avons décidé d’instaurer cette politique en février en l’ayant pensée en décembre.

"Faire ou ne pas faire des enfants est complexe et correspond à des réalités diamétralement opposées selon les genres"

Votre réflexion est très complète, proposant des aménagements de travail, un recours accru au télétravail ou des jours de congé offerts en cas de règles douloureuses, de symptômes liés à la ménopause, mais aussi pour les IVG ou les arrêts de grossesse. Pouvez-vous nous en parler ?

Faire ou ne pas faire des enfants est complexe et correspond à des réalités diamétralement opposées selon les genres : une femme qui annonce sa grossesse a peur de le faire ; un homme qui dit qu’il va être père, lui, ouvrira le champagne avec son équipe. C’est une inégalité structurelle qui doit être résorbée.

Si nous, en tant qu’entreprise, pouvons être un espace de confiance et de sécurité pour nos salariées, nous aurons réussi une bonne part de nos objectifs professionnels.

Le congé menstruel a été très vite mis en place, car plusieurs femmes sont concernées. La ménopause est plus éloignée de nous compte tenu de nos âges, mais nous y sommes très sensibilisées et voulons être prêtes : pour toute l’équipe, il était évident que si le congé menstruel était institué, nous devrions aussi penser à un dispositif autour de la ménopause.

"Pourquoi penser l’IVG sur le plan RH ? La vraie question est : “Pourquoi personne n’y a pensé ?”" 

L’IVG est un tabou encore plus tenace que tous les autres et, à ce jour, très peu d’entreprises en tiennent compte dans leur politique RH. Qu’est-ce qui a inspiré votre politique sur le sujet ?

Pourquoi penser l’IVG sur le plan RH ? La vraie question est : "Pourquoi personne n’y a pensé ?" L’IVG est une affaire certes très personnelle, mais qui doit pouvoir être "digérée" dans les bonnes conditions. Il faut que les femmes puissent bénéficier d’une certaine souplesse de la part de l’entreprise, pour reprendre le travail dans des conditions qui tiennent compte de leur état physique et psychique après un tel événement.

Dès lors que l’on reconnaît que les femmes vivent, du fait de leur nature corporelle, des choses différentes des hommes, on doit en tenir compte dans les actes.

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Les détracteurs de ce genre de mesures leur opposent souvent la question de la confidentialité des processus RH, avançant qu’un défaut en la matière pourrait conduire à des discriminations au travail. Comment abordez-vous cela ?

Comme notre équipe compte uniquement des femmes, la question du congé menstruel a été abordée très simplement. Nous avons présenté aux salariées les nouveaux points de notre charte RH, qui se trouve dans notre « We Are Jolies people book » au sein duquel toutes les informations RH sont consignées. Pour le moment, nous observons que ces protocoles ont surtout débloqué la parole. L’entreprise est très jeune : la plus âgée d’entre nous a 40 ans, et nous protégeons au maximum les femmes à chaque stade de leur vie. Pour libérer les mentalités, nous nous efforçons d’être aussi exemplaires que possible, dans nos prises de parole et dans nos actes. Je fais partie des personnes qui croient aux actions et non aux discours. Ce n’est qu’avec le temps et l’expérience que la confiance sera instaurée.

"Les employeurs ne connaissent pas les lois qui protègent les membres de leurs équipes"

Vous avez mis en place un aménagement du temps de travail pendant les procédures PMA, mais c’est une loi qui existe depuis 2016, et que tout le monde semble ignorer. Le saviez-vous ?

En réalité, je trouve fou que les employeurs ne connaissent pas les lois qui protègent les membres de leurs équipes. C’est aussi à cause de ces règles ignorées – dans tous les sens du terme – que les femmes se sentent plus fragiles que les hommes au travail. Le résultat ? Rien n’est appliqué. La véritable innovation est d’en parler, d’affirmer notre soutien et de le faire connaître.

Propos recueillis par Judith Aquien

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