On ne compte plus le nombre d’études qui abordent la crise de sens que rencontrent certains salariés.  Pandémie, bullshit jobs… des  facteurs qui exacerbent le phénomène ces dernières années, au point que le brown-out, l’épuisement professionnel par la perte de sens, est à présent reconnu comme RPS.

Seuls 6 % des salariés français sont engagés selon le nouveau rapport Gallup "State of the Global Workplace". Cela est cinq fois moins que les Américains et les Roumains et presque trois fois moins que les Allemands. Dès lors,comment les entreprises françaises peuvent-elles redonner du sens au travail des collaborateurs ?

Une affaire d’époque

En 1988 dans Métamorphose du travail - Quête de sens, le journaliste et philosophe André Gorz soulignait déjà qu’il n’était plus envisageable pour les individus de s’identifier à leur travail, l’ère post-industrielle ayant signé la fin du travail comme valeur à part entière attribuant du sens à l’existence.  Yohann Marcet, logothérapeute et directeur du pôle Impact et Expertises du Groupe SOS, explique : "Historiquement, le sens que les individus donnent à leur existence a évolué. L’ère post-industrielle signe la fin du travail comme un but en soi, le travail n’est plus ce qui donne du sens à l’existence. Ce changement historique impose que nous réfléchissions à présent au sens que nous attribuons au travail."

La crise sanitaire ayant accéléré les réflexions autour des modes de vie, l’exigence de trouver un sens à son activité professionnelle apparaît davantage comme nécessaire. En outre, les enjeux environnementaux prennant davantage d'importance dans les choix des individus, une façon de faire rimer engagement individuel et engagement professionnel se trouve dans une raison d’être bien établie pour les entreprises. Toutefois, selon une étude publiée en 2022 par Audencia et jobs_that_makesense, 92% des actifs s’interrogent sur le sens de leur activité et selon un rapport du cabinet de conseil McKinesy, 31% des salariés ont quitté leur emploi car ils n’y trouvaient plus de sens.

92% des actifs s’interrogent sur le sens de leur activité 

Purpose washing

Une étude de Cone Communication montre que 51% des travailleurs déclarent ne pas vouloir travailler pour une entreprise qui n’a pas d’engagement social ou environnemental fort. Malgré ce chiffre, Yohann Marcet questionne le lien entre l’engagement de l’entreprise et le sens du travail pour les collaborateurs : "S’il est évident qu’il y a un lien aujourd’hui entre cette question de l’impact social et environnemental des entreprises et le sens que les individus trouvent à leur activité, il apparaît également que ce n’est pas une condition suffisante pour donner du sens au travail. La preuve : une série de métiers à impact éminemment positif, aujourd’hui, présentent des difficultés de recrutement. C’est le cas d’un certain nombre de métiers du champ du médico-social, de la santé ou de l’enseignement."

La politique RSE d’une société est une condition nécessaire mais pas suffisante à l’engagement des collaborateurs. Nombre d’entreprises se fourvoient dansdes actions mises en place afin de réengager les collaborateurs. La question du sens se trouve alors perçue comme une notion évasive et se voit souvent confondue avec d’autres principes comme la valeur ou l’engagement. Le sens fait pourtant l’objet d’études très précises en sciences, de la sociologie à la psychologie. 

Quête de sens : une nécessité

Si pour Freud l’être humain est régi par les pulsions, durant les années 1930, le psychiatre et philosophe viennois Victok Frankl cible le sens comme condition nécessaire pour la santé psychique des individus et élabore alors la logothérapie, la thérapie par le sens. "Il fut le premier à avoir mis en exergue l’importance du sens sur la santé physique et mentale de l’individu. L’être humain est fondamentalement un être en quête de sens", explique Yohann Marcet. "L’individu trouve du sens lorsqu’il mène une vie en accord avec ses valeurs. Le désengagement ou la perte de sens sont systémiquement liés à la rencontre entre l’individu et un environnement constitué de contre-valeurs pour lui-même. Autre point essentiel : cette quête de sens est propre à chaque individu et évolue dans le temps et l’espace." 

"La quête de sens se joue à plusieurs échelles : celle individuelle des conditions de travail, celle de l’équipe dans laquelle le rôle du manager a en effet beaucoup d’importance et celle de l’organisation, de la méta-structure où se joue la vision de l’entreprise"

Dialectique nécessaire entre l’individu et le collectif

Les stratégies d’entreprise pour réengager leurs collaborateurs peuvent donc facilement être mises en échec par la mise en place de politiques générales pour l’entreprise ne prenant pas en compte la nécessaire jonction qui doit exister entre le sens donné à la mission de l’entreprise et celui poursuivi par chaque individu. Yohann Marcet développe : "Une vingtaine de facteurs sont identifiés comme sources de sens au travail : l’utilité, la finalité et la fierté de la finalité, la dimension du lien social, la possibilité d’utiliser ses talents et de continuer à apprendre, etc. L’ensemble de ces travaux de recherche nous disent également que la quête de sens se joue à plusieurs échelles : celle individuelle des conditions de travail, celle de l’équipe dans laquelle le rôle du manager a en effet beaucoup d’importance et celle de l’organisation, de la méta-structure où se joue la vision de l’entreprise." 

Le directeur du pôle Impact et Expertises du groupe SOS conclut en mettant en avant l’importance de former les managers à ceséléments concrets. Des outils peuvent également être établis afin d’interroger les collaborateurs sur ce qui fait sens ou non pour eux et suivre les facteurs qui deviennent notables au fil du temps. Lorsque le facteur prédominant pour un collaborateur se révèle être le lien social pour répondre à son besoin de sens, pour un autre il s’agira de la fierté du travail réalisé… deux vecteurs de sensqui évolueront dans le temps.

Faire converger sens collectif et sens individuel semble donc essentiel pour remobiliser les collaborateurs. Le rôle du managerest crucial afin de construire cette jonction. Il serait difficile de ne pas percevoir l’ampleur du travail à effectuer en matière d’organisation et de formation pour les entreprises. Il est loin le temps où l’on croyaitque le babyfoot et le chief hapiness officer seraient à la hauteur.

Elsa Guérin

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