Portabilité des garanties collectives de frais de santé et de prévoyance en cas de liquidation judiciaire
Le verdict est tombé pour les organismes assureurs, mais toutes les questions sont encore loin d’être tranchées. Dans un arrêt du 5 novembre 2020 (Cass. civ. 2, n° 15-17.164), la Cour de cassation s’est prononcée pour la première fois sur le fond sur l’application de la portabilité des garanties de protection sociale complémentaire aux salariés licenciés suite à la liquidation judiciaire de leur entreprise. Cet arrêt s’inscrit dans la droite ligne des avis rendus par la Cour sur cette problématique le 6 novembre 2017 (Cass., Avis n° 17013 à 17017). Les dispositions d’ordre public de l’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale n’opèrent aucune distinction entre les salariés des entreprises in bonis et ceux dont l’employeur a fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire, peu important l’absence de dispositif assurant le financement du maintien des couvertures dans cette situation. Telle est la position retenue par la Cour de cassation dans son arrêt du 5 novembre 2020, qui confirme la condamnation d’un organisme assureur à maintenir les droits des anciens salariés à la suite de la liquidation judiciaire de leur entreprise. Au-delà du caractère socialement louable de cette décision, la solution retenue est loin d’être évidente d’un point de vue juridique, et reste donc à ce titre critiquable.
"La question du financement du mécanisme de portabilité en cas de liquidation judiciaire, qui constitue en réalité le nœud de la problématique, n’a pas été appréhendée par la loi"
Une obligation rendue opposable aux organismes assureurs
L’arrêt met l’obligation de maintien des garanties à la charge des organismes assureurs dès lors que le contrat d’assurance n’est pas résilié, les condamnant ainsi à se substituer aux entreprises défaillantes. La solution dégagée n’allait pourtant pas de soi, la portabilité étant par définition une obligation dont la charge incombe à l’employeur dans ses rapports de droit du travail avec ses salariés. Sur le fondement de cette analyse, les organismes assureurs ont majoritairement considéré qu’ils ne pouvaient pas être contraints à maintenir la portabilité en cas de disparition de l’entreprise, (l’article L. 911-8 disposant que "les garanties maintenues au bénéfice de l’ancien salarié sont celles en vigueur dans l’entreprise"). Cet argument n’a pourtant pas convaincu la Cour de cassation, qui fait ainsi supporter aux organismes assureurs le maintien des garanties dans tous les cas (quelle que soit la situation de l’entreprise), et ce alors même que la question du financement du mécanisme de portabilité en cas de liquidation judiciaire, qui constitue en réalité le nœud de la problématique, n’a pas été appréhendée par la loi.
Le financement du dispositif en cas de liquidation judiciaire
L’article L. 911-8 du Code de la Sécurité sociale prévoit que les salariés bénéficient de la portabilité "à titre gratuit". Cette disposition ne signifie toutefois pas que le maintien des garanties est accordé par l’organisme assureur sans contrepartie financière, mais seulement que les anciens salariés n’ont à verser aucune cotisation pendant la période de maintien. Le coût de la portabilité est donc financé par mutualisation, les cotisations des salariés actifs et de l’employeur permettant le maintien des garanties au profit des anciens salariés à titre "gratuit". En cas de liquidation judiciaire, la mutualisation ne peut plus s’opérer, dès lors que l’activité cesse et que tous les salariés sont progressivement licenciés. Cette disparition de la mutualisation a conduit en pratique les assureurs à considérer que la portabilité ne pouvait pas être assurée dans la mesure où la réglementation n’organisait pas le financement du dispositif en cas de liquidation judiciaire. Malgré cette carence législative, la Cour de cassation a estimé, que "les observations de l’assureur sur le financement de la couverture mutuelle des salariés licenciés ne se rapportaient pas à un critère ou à une condition d’application de l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale". La sanction est sévère pour les organismes assureurs qui, d’un point de vue économique, n’ont désormais pas d’autre choix que d’organiser contractuellement le financement du dispositif pour pallier l’absence d’intervention de l’État.
Les questions non encore tranchées
Les clauses prévoyant le paiement d’une "surprime" par l’employeur. En pratique, on constate que les assureurs, prévoient fréquemment dans leurs contrats des clauses venant organiser le paiement d’une surprime par l’entreprise, notamment lorsque, du fait d’une liquidation judiciaire et/ou d’un licenciement collectif, la proportion entre les salariés en activité et les anciens salariés bénéficiaires de la portabilité devient déséquilibrée. L’arrêt du 5 novembre 2020 ne se positionne pas sur la validité de ce type de clauses mais il ne fait nul doute qu’à l’avenir, la jurisprudence viendra se prononcer sur leur portée au regard des dispositions d’ordre public de l’article L. 911-8.
L’incidence de la résiliation valable du contrat d’assurance. La résiliation du contrat d’assurance dont le liquidateur aura sollicité le maintien, qu’il s’agisse par exemple d’une résiliation à l’échéance annuelle ou pour défaut de paiement des cotisations, devrait juridiquement emporter la cessation du maintien des garanties par l’assureur. Il devrait en être de même suite à la clôture de la procédure de liquidation. Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation ne se prononce pas sur ce point, mais elle prend le soin de préciser "qu’il n’était pas justifié de la résiliation du contrat collectif d’assurance en cause". Là encore, la vigilance impose en la matière un suivi des futures jurisprudences qui ne manqueront pas de se positionner sur le sujet.
Par Émilie Morin, avocat of counsel, Fromont Briens