Les avocats du cabinet Lusis expliquent pour Décideurs comment certaines entreprises ont su s’approprier cet adage de Winston Churchill et appréhender la crise sanitaire ainsi que la loi sur le CSE, avec créativité et inventivité.

Décideurs. Comment la période de crise sanitaire et économique a-t-elle impacté le climat social dans les entreprises que vous accompagnez ?

Hortense Gebel et Frédéric Leclercq. Sur le plan individuel, cette période a été complexe mais a aussi permis à nos clients de réfléchir au déploiement de nouveaux outils, en particulier de management, de communication, permettant de maintenir le lien au sein des équipes. La résilience de certaines entreprises face à cette situation est remarquable : au-delà des aspects négatifs, nous avons noté des effets inattendus : certains ont innové, développé de nouveaux outils, amélioré leurs échanges et l’accompagnement du travail de chacun en équipe.

Quelles leçons tirer de la négociation collective pendant cette période ?

Passé le premier effet de sidération, nos clients ont su s’adapter et mettre en place les solutions adaptées à leur configuration. Cette période a invité un grand nombre de nos clients à libérer une certaine forme de créativité. Ils ont su, avec leurs partenaires, s’éloigner du formalisme pour se focaliser sur l’objectif essentiel : maintenir un dialogue efficace et constructif. Ce qui n’était pas concevable hier est aujourd’hui envisageable et parfois naturel : la négociation par visioconférence a apporté de la souplesse et une nouvelle façon de travailler.

En revanche, au sein des entreprises où le dialogue social était compliqué, l’utilisation des outils de communication distanciels a pu, au contraire, accroître les difficultés observées. La distance et les moyens numériques ont alors cristallisé les positions de certains et tendu les relations.

Le dispositif relativement récent du CSE s’est-il avéré efficace ?

Les ordonnances qui mettent en place le CSE invitent les entreprises à adapter les outils proposés par la loi en vue de construire un dialogue social dans un cadre consensuel. Face à cette liberté offerte aux partenaires sociaux, on observe deux catégories assez tranchées de réactions :

- des entreprises en liaison avec leurs partenaires sociaux se sont saisies des outils proposés et ont construit un fonctionnement du CSE adapté à leurs besoins. Au sein de ces entreprises, la réforme initiée depuis 2018 est en cours et se poursuivra au cours des prochaines années ;

- d’autres entreprises en revanche n’ont pas su saisir les opportunités offertes et considérent la loi avec le même regard et les mêmes réflexes qu’avant la réforme.

Les conséquences sont le plus souvent un fonctionnement chaotique, des incompréhensions et conflits matérialisés par un engorgement des réunions du CSE assorties d’incompréhensions. Pour prendre une analogie d’actualité : avec le CSE, le législateur propose aux partenaires sociaux d’utiliser désormais un véhicule électrique pour suivre, ensemble, la route de leur dialogue social :

- certains ont déjà commencé à profiter du confort et de la modernité de ce nouveau véhicule ;

- pendant que d’autres cherchent encore à remplir le réservoir de diesel et à manœuvrer un levier de vitesse qui n’existe plus…

Plus globalement, quel bilan tirez-vous du fonctionnement de cette instance ? Le cas échéant, quelles sont les améliorations à la main des entreprises dont l’impact est le plus sensible ?

La réforme du CSE offre aux partenaires sociaux toute une série de nouveaux outils dont l’importance et l’amplitude ne sont sans doute pas encore pleinement mesurées. Par essence, une évolution d’une telle importance doit s’effectuer de manière progressive. On peut estimer que pour les entreprises qui se sont attelées plus en amont à la mise en place de cette réforme, le fonctionnement optimal du CSE pourra être mesuré de manière complète à l’échéance du troisième mandat des élus de cette nouvelle instance. Certains de nos clients se préparent à la mise en place de correctifs, en ayant tiré avec les représentants du personnel les leçons du premier mandat qui va bientôt s’achever. Cette construction par itération correspond pleinement à l’esprit de la loi qui permet la recherche conjointe d’un véhicule de dialogue, capable de se consacrer aux sujets qui intéressent l’entreprise et ses salariés. La crise sanitaire a permis de mettre à l’épreuve les outils imaginés par les partenaires sociaux pour le bon fonctionnement du CSE, ce qui offre l’opportunité d’ajustements qui n’avaient pas été initialement envisagés. Les négociations initiées dans les prochains mois pour l’aménagement des accords CSE en cours s’annoncent très intéressantes.

"Une fois que le cadre juridique d’une négociation a pu être posé et partagé en commun, chacune peut aborder la négociation proprement dite dans les meilleures conditions"

Vous dites que la formation professionnelle est devenue une composante essentielle de l’activité d’avocats en droit social, pour quelle raison ?

Il s’agit ici d’une prolongation essentielle de notre activité de conseil aux côtés des entreprises. La formation professionnelle est un moyen efficace d’aider les différents acteurs de l’entreprise à s’approprier dans les meilleures conditions les outils juridiques mis à leur disposition dans le domaine collectif (présidence du CSE, animation-participation à des commissions, négociations…) comme dans le domaine individuel (gestion, échange et travaux autour de la charge de travail, entretien annuel d’évaluation, appréhension des questions relatives aux troubles psychosociaux…). Le déploiement sur une grande échelle de la formation professionnelle au sein d’une entreprise est sans doute le véhicule le plus puissant pour passer de la théorie à la pratique et s’assurer de la mise en œuvre la plus efficiente possible des outils.

Ainsi, par exemple, la préparation d’un projet important peut désormais être appréhendée de manière multiaxiale :

- les réflexions autour des besoins de l’entreprise et des véhicules juridiques sont une partie de notre contribution, un volet classique ;

- le second volet est matérialisé par la mise en place de formations communes, rassemblant les membres élus du CSE et de la direction à la veille d’un processus d’information/consultation portant sur un projet important afin de permettre à chacun de préparer dans les meilleures conditions l’étude du dossier qui les attend et le travail à accomplir en commun.

Comment prépare-t-on les IRP à la négociation ?

La formation commune suggérée par la loi est un nouvel outil efficace. Rassembler la direction et les partenaires sociaux dans la perspective de la négociation à venir permet aux deux parties de préparer ensemble le travail qui les attend en s’accordant sur les outils juridiques qui doivent être employés, leur portée et leur signification. Ainsi, on permet aux partenaires sociaux de se focaliser sur le fond et non, comme c’était trop souvent le cas auparavant, sur le cadre juridique.

Au cours de ces dernières années, nous avons expérimenté avec succès la mise en place de formations communes rassemblant les membres élus du CSE et de la direction à la veille d’un processus d’information/consultation portant sur un projet important afin de permettre à chacun de préparer l’étude du dossier qui les attend et le travail à accomplir.

Notre cabinet a souvent l’occasion d’animer ces formations de manière conjointe avec certains de nos confrères qui conseillent des organisations syndicales et des instances représentatives du personnel, qui partagent cette même vision de l’utilisation de la loi au profit du dialogue social. Une fois que le cadre juridique d’une négociation a pu être posé et partagé en commun, chacune peut aborder la négociation proprement dite dans les meilleures conditions.

"La réforme du CSE offre aux partenaires sociaux toute une série de nouveaux outils dont l’importance et l’amplitude ne sont sans doute pas encore pleinement mesurées"

Quelles solutions d’anticipation peuvent être mises en place concernant les RPS ?

C’est certainement l’un des sujets les plus importants de ces prochaines années pour ce qui concerne la gestion des relations sociales, qu’elles soient individuelles ou collectives. Nous observons l’émergence de l’appréhension des questions psychosociales dans la plupart des situations importantes, qui peuvent être de nature à rendre la tâche des différents interlocuteurs particulièrement compliquée :

- la conduite d’un entretien annuel d’évaluation débouche parfois sur le constat d’un choc psychologique ;

- un entretien préalable peut aboutir à une déclaration d’accident du travail ;

- la virulence des échanges intervenant en aval comme pendant certaines réunions du CSE ou de négociations provoquent des situations préoccupantes.

- enfin, les divergences observées entre des représentants du personnel quant aux modalités de fonctionnement du CSE conduisent à des réactions et à l’utilisation de véhicules juridiques qui étaient jusqu’ici rares, telles que la révocation des mandats de secrétaire ou de trésorier.

L’expression des incompréhensions respectives entre les partenaires sociaux dans le fonctionnement de ces instances, de ces désaccords, provoquent, là aussi, des conséquences psychologiques qui doivent nécessairement être prises en compte.

Au sein du cabinet Lusis Avocats, nous réfléchissons avec d’autres experts, à une nouvelle approche de ce type de situations basée sur l’anticipation pluridisciplinaire de ces situations :

- le droit ne peut plus être aujourd’hui la seule réponse, le seul outil, pour traiter des situations complexes que rencontre l’entreprise tant en ce qui concerne les relations individuelles que collectives ; - le conseil en droit social doit désormais être capable d’associer un autre regard au sien pour apporter aux entreprises une réponse globale et adaptée à ces questions.

Entretien avec Hortense Gebel et Frédéric Leclercq, avocats associés, Lusis Avocats

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