Comment un groupe présent sur cinq continents traverse-t-il la crise de la Covid-19 ? Mènera-t-elle à transformer durablement l’organisation ? Le regard d’Isabelle Calvez, directrice des ressources humaines de Suez.

Décideurs. Comment les ressources humaines d’un groupe mondial comme Suez vivent-elles la pandémie ?

Isabelle Calvez. Loin de représenter un handicap, le fait d’être un groupe mondial nous a justement plutôt aidés à gérer la crise. Nous avons rapidement pu tirer les enseignements des débuts de la pandémie en Chine. Par la suite, les équipes de ce pays se sont impliquées pour assister les autres, dans l’approvisionnement en masques notamment. Cette dynamique d’entraide s’est largement diffusée au sein du groupe. Les filiales des régions nordiques ont, par exemple, acheminé des produits en Italie. La mondialisation a également des côtés très positifs, quand la solidarité entre les pays joue à plein régime.

Préparez-vous la vaccination dans les différentes zones d’implantation ?

Absolument, en commençant par mettre des centres de test partout dans le monde. L’idée est d’obtenir des autorisations de chaque pays, des accès prioritaires, pour faire vacciner nos personnels essentiels le plus vite possible. C’est d’ores et déjà réalisé pour un certain nombre de salariés, comme ceux des centres de traitement des eaux aux États-Unis. Il est normal que les employeurs s’impliquent. 

La maladie a franchi les portes de l’entreprise. Avec quelles conséquences dans la relation de travail ?

Le sujet de la santé ou du bien-être au travail prend à l’évidence une place prédominante depuis quelques mois. Nous avons été conduits à "entrer" dans la vie des collaborateurs, ne serait-ce que pour les aider à vivre avec la maladie en organisant la vaccination ou en mettant en place des lignes d’écoute téléphonique. Les salariés les ont utilisées pour évoquer leur angoisse, pour eux-mêmes comme pour leur famille. Les managers ont reçu pour consigne d’essayer de comprendre la situation de chaque personne, d’individualiser la relation de travail.

"La période a dévoilé au grand jour que les emplois les moins qualifiés ne sont en aucun cas les moins utiles"

Comment la fonction RH du groupe appréhende-t-elle les changements du monde du travail qui résultent de la crise sanitaire ?

À l’issue des premiers confinements, nous avons pris le temps de realiser un bilan immédiat avec les DRH de chaque région. Sans surprise, nous sommes parvenus à la conclusion, qu’après une expérimentation à si grande échelle du travail à domicile, nous ne procéderions jamais plus comme avant. Une enquête a été menée dans l’ensemble des pays pour trouver le bon équilibre entre distance et présence. Il s’agit d’un grand changement pour Suez. En principe, 80% de ses salariés sont sur le terrain. Le télétravail n’entrait pas dans la culture du groupe. Un accord-cadre a depuis été adopté. Il prévoit trois jours au bureau et deux jours à distance. Le dispositif est assez ouvert, il repose sur l’accord du manager et l’organisation du service. Cette logique d’autonomie n’est pas neuve mais elle est comme accélérée par la conjoncture. La crise sanitaire emporte des aspects positifs en termes de confiance et de management.

Quelles sont les autres pistes de réflexion ?

La période a dévoilé au grand jour que les emplois les moins qualifiés ne sont en aucun cas les moins utiles. Cette mise en perspective a des impacts sur la politique de gestion des ressources humaines. Elle conduit à revaloriser certains métiers, ce qui passe bien sûr par la rémunération, mais pas seulement. Il s’agit surtout de porter un regard plus moderne sur les compétences des collaborateurs. On a souvent tendance à chercher des profils qui ont déjà les connaissances adaptées à un poste. Mais ces compétences s’acquièrent. Il faut raisonner davantage sur la capacité que sur la compétence. 

"Les salariés veulent garder leur groupe, ils refusent d’assister à son démantèlement"

Comment a fonctionné le dialogue social pendant la période ?

Le dialogue social a été très soutenu et s’est avéré fondamental pour gérer les approvisionnements de matériel, la solidarité intra groupe envers les pays qui rencontraient des difficultés etc. Nous avons joué la carte de la transparence. Notre comité social européen était informé de l’état de chacune des filiales et était très rassuré de l’existence d’une véritable "vision groupe". Les circonstances nous ont conduits à adopter des modes de dialogue moins formels. On se disait les choses avec une forme de simplicité. De ce point de vue, nous avons gagné en fluidité, ainsi qu’en confiance. Là encore, comme pour le télétravail, impossible de revenir en arrière. 

Les salariés sont-ils restés très engagés ? 

Oui, énormément. Nos collaborateurs sont d’ailleurs très engagés de manière générale. Ils sont très attachés à la marque Suez

Le contexte de l’affaire Véolia participe sans doute de ce mouvement…

Sans doute. Il a effectivement plutôt tendance à créer un effet de "sur engagement". Les salariés veulent garder leur groupe, ils refusent d’assister à son démantèlement. Ce n’est pas de la résistance pour la résistance, mais l’expression d’un fort engagement des collaborateurs et d’une vraie cohésion sociale au sein du groupe.

Quelle doit être la place du DRH dans l’entreprise du "monde d’après" ? 

Qu’il s’agisse des enjeux de transformation, de l’évolution du management ou encore du rapport au lieu de travail, les DRH s’affrontent quotidiennement aux conséquences directes de la crise. Au-delà, ils sont en première ligne des questions de solidarité, de responsabilité sociale voire citoyenne. La fonction irrigue la stratégie non financière de l’entreprise et fait rayonner sa raison d’être. Cette démarche ne l’éloigne pas pour autant du business car finalement cette dimension extra-financière figure désormais au cœur des enjeux business eux-mêmes. Et le DRH est garant de la cohérence.

Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot et Marianne Fougère

 

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