Alain Roumilhac (Manpower) : "Le rebond de l’emploi passera d’abord par l'intérim"
Décideurs. La crise a très durement impacté le secteur de l’intérim. Quel est l’état des lieux à ce jour ? Voyez-vous de premiers signes de rebond ?
Alain Roumilhac. Nous sommes actuellement dans une phase transitoire. En 48 heures, l’intérim a connu une baisse d’activité de près de 75%, ce qui correspond à 500 000 équivalents temps plein. Depuis, on remonte progressivement. En tout cas, la situation n’empire pas. Des intérimaires sont remis à l’emploi chaque semaine, même si les volumes restent très inférieurs à ce qu’ils devraient être. Beaucoup de nos clients n’ont pas encore repris leur pleine activité, ou bien l’ont fait en ne mobilisant pour l’instant que leurs salariés. Ils ont lancé des opérations pilotes avec 20 % à 40% maximum de leurs effectifs. Aujourd’hui notre attention reste donc tournée vers le redémarrage des sites sur lesquels nous opérons.
Il existe à ce sujet une grande disparité entre les entreprises…
La situation est très volatile et dépend de chaque environnement. Souvent, au sein des entreprises de taille moyenne, il existe une relation de confiance entre collaborateurs et dirigeants qui facilite le retour des salariés sur leur lieu de travail. Ce sont d’ailleurs ces structures qui ont été les premières à nous solliciter.
Le gouvernement a annoncé un assouplissement des conditions du recours au travail temporaire, désormais possible par convention d’entreprise. Cela correspond-il à vos attentes ?
La mesure aura sans doute un impact à un moment donné… Mais ce n’est pas là que cela se joue. Nos clients ont avant tout un problème de carnet de commandes et de visibilité. Sur le marché de l’automobile par exemple – pour lequel le gouvernement a annoncé un vaste plan de soutien – les entreprises se posent en tout premier lieu la question du volume : à quel rythme de production faut-il repartir ?
La crise a mis sur le devant de la scène certains métiers. Pensez-vous que cette revalorisation s’inscrira dans la durée ?
Depuis un certain nombre d’années déjà, on assistait à une bifurcation entre deux mondes qui s’éloignaient. La crise a placé ce mouvement sur le devant de la scène en soulignant les différences entre cols blancs et cols bleus et en démontrant que ces derniers sont indispensables à la vie de la nation. Mais si l’on en discute aujourd’hui et qu’on évoque la revalorisation des salaires des caissières ou des aides-soignants, il n’en reste pas moins que cela va à l’encontre des grands mouvements macroéconomiques du passé. Pour que le sujet s’ancre dans la durée, il faut en quelque sorte créer une nouvelle tendance. Par exemple avec une baisse des cotisations sociales sur ces emplois…
Quelle idée vous faites-vous de votre rôle dans la reprise du marché du travail ?
Le rebond de l’emploi passera d’abord par nous. Les entreprises embauchent dans un premier temps en contrats courts et reprennent le rythme des CDI lorsqu’elles regagnent en visibilité. Notre enjeu sera d’aider le plus possible de personnes à revenir en emploi. Et cela passe avant tout par la formation. Depuis près de dix ans, on se battait pour trouver des compétences. Nous avons par exemple formé de très nombreux intérimaires au secteur aéronautique. Or ce secteur est très impacté et l’on sait que l’on produira beaucoup moins d’avions que prévu. Serons-nous capables de repositionner nos équipes ? Il va nous falloir être très agiles pour comprendre comment adapter les compétences, à quel moment, dans quel territoire, en modifiant nos processus de formation… Sur ce point, nous avons quelques craintes. Nous espérons que l’impact de la réforme professionnelle et la création des Opco n’auront pas un impact négatif sur cette capacité d’adaptation.
Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot