G.Chiche (Député LREM) : "la nationalisation n'est pas un gros mot"
Décideurs. Comment est née cette initiative ?
Guillaume Chiche. Elle part d’un constat assez simple. Les bouleversements introduits par la crise sanitaire dans notre quotidien et notre modèle de société sont d’une telle ampleur qu’il semble impossible de continuer de s’en remettre aux seules préconisations des personnes en responsabilité. Il faut réintroduire de l’horizontalité, céder la place à la co-construction en donnant la possibilité à tous les citoyens de participer et d’imaginer à quoi ressemblera "Le Jour d’Après". Cela répond par ailleurs à un besoin puisque nous enregistrons, à l’heure qu’il est, près de 6 000 contributions sur le site.
De quoi la crise a-t-elle été le révélateur ?
Le confinement met en lumière les inégalités. Par exemple, d’une famille à l’autre, la continuité pédagogique n’est pas toujours assurée. Certains enfants décrochent, d’autres sont privés du seul repas équilibré de leur journée. Le citoyen que je suis pourrait tout à fait proposer qu’à l’avenir notre politique familiale constitue un levier pour protéger de la précarité. À la faveur de cette situation exceptionnelle, émerge également un nombre significatif d’aberrations : la difficulté à s’approvisionner en masques, la pertinence de déléguer à d’autres puissances la production de matériels indispensables, l’impossibilité pour les chauffeurs routiers de se ravitailler sur les aires d’autoroutes… Autant d’éléments qui invitent à réinterroger la place de l’État ou les obligations qui devraient incomber aux entreprises.
Le rôle des entreprises doit donc être repensé ?
Demain, une entreprise qui ne fera pas la démonstration de son utilité sociale s’exposera à ne pas bénéficier de l’ensemble de la solidarité nationale. L’État ne garantit pas les prêts ni ne prend en charge l’activité partielle seulement pour préserver notre activité économique. Il estime que ces mesures ciblent avant tout des entreprises qui représentent de gros pourvoyeurs d’emplois, qui participent à la vitalité économique des territoires ruraux, etc.
"Une entreprise qui ne fera pas la démonstration de son utilité sociale s'exposera à ne pas bénéficier de la solidarité nationale"
De la même manière, la société ne peut rester sourde aux revendications des sans-parts, ces héros du quotidien dont les métiers sont peu valorisés. Sur ce sujet, il me semble peu opportun d’envisager une augmentation du Smic qui, en tirant à la hausse le coût du travail, conduira à affaiblir des entreprises déjà suffisamment affectées par la crise. En revanche, pourquoi ne pas agir sur l’intéressement et la participation ? La redistribution aux salariés qui gagnent le moins d’une quote-part des bénéfices permettrait de les associer à la performance et de rétribuer leur engagement.
Mais cette redistribution ne représente-t-elle pas qu’une modification à la marge du système économique actuel ?
Contrairement à ce qui existe actuellement, la redistribution n’oublierait plus personne. L’idée d’en finir avec le capitalisme est très séduisante, presque romantique. Mais, comment balayer du revers de la main le poids des acteurs économiques qui, en réalité, créent de l’emploi ? Il n’en demeure pas moins qu’une réorientation vers les fonctions économiques vitales s’impose. Dans certains secteurs, il faudra taper du poing sur la table. L’État ne peut plus laisser les acteurs de la grande distribution se livrer une guerre des prix qui rogne, chaque jour davantage, les marges des agriculteurs. Quitte à bouleverser les équilibres économiques existants, on ne doit pas s’interdire d’être plus radical dans la répartition de la valeur en encadrant, par exemple, les prix d’achat. Je plaide pour une redécouverte de la notion d’État stratège.
Stratège au point de nationaliser ?
La nationalisation n’est pas un gros mot. L’exemple des compagnies aériennes est à cet égard édifiant. Leur nationalisation pourrait permettre de les sauver des griffes d’OPA mal intentionnées. L’État doit garantir aux acteurs privés de garder la main sur leurs activités et s’autoriser, quand cela est nécessaire, à réaliser des nationalisations temporaire, totale ou partielle, sur des fonctions essentielles comme les transports. Il s’agit également de parer aux manquements des acteurs. Les routiers ne refusent pas de prendre la route par coquetterie. Quelqu’un a dû faire défaut, ce qui explique que les sanitaires des autoroutes soient tous condamnés. L’État doit agir en conséquence pour demeurer maître des infrastructures vitales.
Propos recueillis par Marianne Fougère