A. de Saint Céran (C&S Partners) : "Nous ne vivons pas une véritable situation de télétravail"
Décideurs. Comment les entreprises vivent-elles la mise en place d’un télétravail massif ?
Agnès de Saint Céran. En réalité, nous ne sommes pas aujourd’hui dans une situation véritable de télétravail. Ce dernier implique de travailler normalement or ce n’est pas le cas en ce moment. La bascule a été brutale, tout le monde n’a pas l’installation adéquate, les parents doivent en même temps s’occuper de leurs enfants… J’observe que le changement se passe tout de même plutôt bien du point de vue des équipes comme des entreprises. Celles qui s’adaptent le mieux sont précisément celles qui ont pris conscience que ce n’est pas du télétravail normal. Elles ont donc réagi avec un certain nombre de dispositifs mais aussi de restrictions, comme la mise en place de plages horaires sans réunions ni appels téléphoniques. De nombreuses personnes rencontrent en effet des difficultés pour déconnecter. Or cette période particulière ne dispense pas l’employeur de ses obligations à cet égard.
Quelles sont les conséquences de cette situation particulière pour les managers ?
Il s’agit de les rassurer et de les accompagner. Et ce d’autant qu’on leur demande aussi de détecter les personnes qui vivent mal la situation, d’être très à l’écoute. C’est une vraie mission de prévention des risques psycho-sociaux qui leur est confiée. Elle implique de leur part de déployer des démarches très volontaristes : conserver des contacts quotidiens, organiser des cafés d’équipe à distance… Le maintien du lien est central, son absence génère un risque certain pour la performance et la santé des équipes. Il semble par ailleurs que le confinement et le travail à distance, puisse être une opportunité de mieux travailler en collaboration. On a pu remarquer dans certains cas que le travail de formalisation était de meilleure qualité et que les échanges de groupe, pouvaient être améliorés, contraints par l’outil digital : meilleure écoute, plus grande facilité pour les personnes plus réservées de prendre la parole, derrière leur caméra ou leur micro. Tout cela est à confirmer bien entendu, mais ce sont des premières observations intéressantes.
Comment être un bon leader dans de telles circonstances ?
Le sujet est évidemment complexe. Si je me réfère à mon expérience de management à distance dans des situations interculturelles, l’absence de communication non verbale rend compliquée l’instauration d’une relation de confiance. Dans ces conditions, il s’agit avant tout d’être « lisible ». Prévisible, clair, compréhensible. Les leaders qui suscitent la loyauté de leurs équipes à distance sont ceux qui font l’effort d’adopter un style de communication simple, et de rester direct dans la transmission des consignes. Il s’agit également d’être accessible. C’est essentiel. Et cela implique de pouvoir transmettre une certaine vulnérabilité, d’assumer ses failles. À défaut, les équipes n’osent pas remonter les informations. Cette disponibilité se transmet dans l’attention portée aux autres et l’intérêt réel exprimé vis-à-vis des équipes. C’est l’expression d’une vraie générosité, qui traverse cela la distance comme les cultures.
Echangez-vous souvent avec des pairs ou des dirigeants du même secteur ? Que vous apportent ces échanges ?
J’ai découvert tout le plaisir et la richesse de travailler en réseau en Chine, où cette pratique est la norme. J’ai récemment rejoint l’Advisory Board de C&S Partners, un cabinet de conseil fondé par des personnes avec qui je partage des convictions autour d’un leadership responsable, authentique et impactant. C’est une opportunité très riche de pouvoir se retrouver sur des thèmes concrets, régulièrement, avec des personnes d’horizons divers pour partager et tenter de faire émerger des idées apportant quelque chose de neuf.
Propos recueillis par Marie-Hélène Brissot