Alors que le barème plafonnant les indemnités en cas de licenciement pour cause réelle et sérieuse est inscrit dans le code du travail depuis septembre 2017, certains conseils de prud’hommes continuent d’apprécier librement le montant alloué aux salariés licenciés. Une polémique qui remet en cause l’ambition de la réforme initiée par Emmanuel Macron lorsqu’il était ministre de l’Économie : rassurer les entreprises et favoriser l’embauche. État des lieux.

Conseillers mal formés, délais trop longs, manque d’équité entre les différents tribunaux… Depuis plusieurs années, les conseils de prud’hommes font l’objet d’un grand nombre de critiques. Notamment du côté du patronat. En 2014, la présidente du Medef, Laurence Parisot, affirmait sans détour : « Les tribunaux de prud’hommes sont décourageants pour les chefs d’entreprise, car dès qu’il y a un conflit, dans sept cas sur dix, l’entreprise est condamnée, ce qui veut dire qu’aujourd’hui, on n’ose pas embaucher. » En 2015, Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, donne un coup de pied dans la fourmilière des prud’hommes en prévoyant d’encadrer les indemnisations en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Les ordonnances réformant le code du travail, signées par le président de la République le 22 septembre 2017, limitent ainsi les indemnités à deux mois de salaire à partir d’un an d’ancienneté. Ce plafond augmente ensuite d’un mois par année, sans dépasser vingt mois d’indemnités.

Indemnité adéquate

Une réforme qui provoque l’ire de certains conseillers prud’homaux voyant derrière ce barème une limitation de leur compétence. Ils accusent avant tout la mesure d’aller à rebours de la convention de l’Organisation internationale du travail et la Charte sociale européenne. Un argument écarté par la Cour de cassation qui, dans un avis du 17 juillet 2019, valide la conventionnalité du barème. Peu importe, certains tribunaux continuent d’accorder des indemnités supérieures aux plafonds prévus par le code du travail. C’est le cas du conseil de prud’hommes de Grenoble. Dans une décision du 22 juillet 2019, le juge fixe une indemnité de 16,5 mois de salaire, alors que la salariée en question devait, selon le code du travail, bénéficier d’une indemnisation maximale équivalent à douze mois de salaire. Un montant insuffisant selon le tribunal. Plus significatif encore : certaines cours d’appel jouent, elles aussi, les rebelles. C’est le cas de celle de Reims, estimant dans un arrêt du 25 septembre 2019 que le juge peut contrôler la proportionnalité du plafonnement avec la situation personnelle du salarié.

Détourner le barème

Une fronde qui pose la question de l’efficacité de la réforme. « Ce barème, c’est beaucoup de bruit pour rien, note Anne-Lise Puget, avocate en droit social et associée au sein du cabinet Bersay. De toute façon, même si les prud’hommes appliquaient les barèmes, les justiciables redoubleraient de créativité pour solliciter des indemnités par un autre biais.» C’est le cas en Italie ou en Grèce. Les deux pays, qui ont également introduit un plafonnement des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, observent une augmentation significative des recours pour harcèlement. Or, en cas de harcèlement — ou de discrimination —, le barème ne s’applique pas car le licenciement est considéré comme nul. Les conseils de prud’hommes peuvent par ailleurs accorder davantage d’indemnités pour licenciement vexatoire, ces dernières n’étant encadrées par aucun barème. « Auparavant, les tribunaux avaient l’habitude de regrouper les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse et les indemnités annexes », explique Alexandra Sabbe-Ferri, avocate spécialisée en droit social à l’initiative de la legaltech MesIndemnités.com, pour qui ces demandes d’indemnités annexes augmenteront probablement à l’avenir.

Diminution significative du nombre de recours

Quoi qu’il en soit, cette réforme, ainsi que les précédentes — notamment celle sur la procédure —  auront conduit à une diminution du nombre de saisines avec119 000 recours recensés aux prud’hommes en 2018, contre 189 000 en 2014 (1). « Un salarié n’a pas intérêt à faire un recours pour trois mois de salaire », assure Alexandra Sabbe-Ferri qui, dans la pratique, privilégie toujours la négociation entre salarié et employeur. Quid alors de l’objectif initial du barème : rassurer les entreprises et favoriser l’embauche ? Difficile à dire. La plupart des experts se montrent sceptiques. « Je travaille avec des sociétés internationales qui ont parfois peur du droit français. Ce barème les rassure, témoigne toutefois Anne-Lise Puget. Mais au vu de la jurisprudence actuelle, on risque de voir à nouveau des taux d’indemnisation élevés. » Sur cette question, la Cour de cassation aura l’occasion de se prononcer et ainsi de dicter la ligne à tenir par les conseillers prud’homaux. Un arrêt qui se fait déjà attendre.

Capucine Coquand

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