C. Cosme (OIT France) : " L'OIT opte pour une vision universelle de la protection sociale"
Décideurs. Quelles sont les orientations de l’OIT en faveur de la protection sociale ?
Cyril Cosme. La protection sociale est l’un des éléments fondateurs de l’OIT. Inscrite au sein de conventions internationales très anciennes, elle y est considérée comme une contrepartie officielle du travail. Cependant, ces textes se sont rapidement heurtés, dans de nombreux pays membres, à la réalité du travail informel et ont finalement fait l’objet d’une ratification très limitée. Depuis une dizaine d’années, l’organisation a changé d’approche, partant du constat que la protection sociale était peu opérante lorsqu’elle était subordonnée à un contrat de travail.
En quoi consiste votre nouvelle approche ?
Sur la base d’un rapport émis par un groupe consultatif présidé par Michelle Bachelet (présidente du Chili entre 2006 et 2010 puis entre 2014 et 2018), nous avons opté pour une vision plus universelle et commencé à promouvoir l’idée que la protection sociale n’était pas la conséquence mais la condition du développement d’une économie. L’OIT encourage aujourd’hui les États et les entreprises à mettre en place un socle contenant des garanties élémentaires de sécurité sociale qui assurent un accès universel aux soins de santé essentiels.
Comment promouvoir cette démarche de manière globale ?
La protection sociale est l’affaire de tous. Pour convaincre, nous intervenons au travers de plaidoyers auprès des États et des organisations représentatives des employeurs et des salariés. Un réseau mondial des entreprises sur les socles de protection sociale existe depuis 2015 avec comme objectifs de partager les bonnes pratiques et de soutenir la conception de programmes nationaux de protection sociale. Il réunit des multinationales dont Crédit agricole, L’Oréal, Danone, Procter & Gamble et Nestlé.
Quel intérêt pour les entreprises de mettre en place ces socles universels ?
De plus en plus de groupes prennent conscience que la protection sociale favorise leur compétitivité et se traduit très concrètement par une réduction de leurs taux d’absentéisme et de turnover. Elle représente également un argument pour attirer et recruter la main-d’œuvre. Il y a aussi, je pense, une logique purement sectorielle avec un effet d’entraînement du comportement d’entreprises pionnières sur le sujet, comme Danone ou L’Oréal.
Les nouveaux modes de travail constituent-ils un risque pour la protection des travailleurs ?
Le sujet des travailleurs des plateformes continue de faire débat au sein de l’OIT. Il appelle deux types de question. D’une part, dans quelle mesure leurs conditions de travail les assimilent à des salariés ? Et, sans aller jusqu’à la requalification en contrat de travail, comment faire en sorte qu’ils bénéficient d’un niveau de couverture suffisant ? D’autre part, de quelle façon aborder l’émergence du crowdworking ? Cette nouvelle forme d’emploi qui consiste à faire appel à une multitude de personnes pour réaliser une tâche. La mobilisation éclatée de travailleurs indépendants répartis partout dans le monde empêche tout encadrement de la relation de travail et nous interroge quant à leur protection.
Vanessa Frey