D.Rivron (Safran) : "Oui, l'industrie du futur génère des emplois"
Décideurs. Depuis quand avez-vous commencé à aborder la question de la transformation digitale chez Safran ?
Didier Rivron. Depuis les années 2011-2012, nous travaillons sur les problématiques de data management et de big data, concrétisés par la création de Safran Analytics en 2015, l’entité du groupe dédiée au big data. Safran Helicopter Engines s’est par ailleurs positionné en précurseur en utilisant un grand nombre de données pour répondre à l’éclectisme du marché des hélicoptères. De même, le modèle économique du successeur du moteur CFM a changé et l’utilisation du data management a été clé pour accompagner ce changement. La transformation digitale s’accélère car les technologies évoluent sans cesse. De nombreux leviers permettent maintenant d’améliorer la productivité et l’ergonomie du poste du travail. Ce n’est pas la machine qui fait la nouveauté, c’est l’interconnexion d’un écosystème, l’architecture industrielle et la continuité numérique qui nous conduit à la quatrième révolution industrielle.
Quelles nouvelles technologies ont été développées dans les usines de Safran ?
Aujourd’hui, la nouvelle tendance est d’abord à l’hyperconnectivité des machines. Par exemple, des capteurs sont positionnés sur les produits et permettent d’identifier et d’anticiper les éventuels dysfonctionnements. Ces technologies sont particulièrement importantes dans le secteur aéronautique où la sécurité prime avant tout. Safran Nacelles a été pionnière dans le domaine au moment du lancement de l’A330neo. Le défi était de développer dans un temps record une nouvelle nacelle pour l’avion d’Airbus. Grâce à l’usage de la réalité virtuelle, l’ensemble du montage des produits est rendu visualisable avec des lunettes 3D sur deux grands écrans. Avec cette nouvelle avancée technologique, les objectifs de temps ont ainsi pu être respectés. Les cobots ont également fait leur apparition dans les usines. Les tâches lourdes comme le déplacement de pièces nécessitent beaucoup moins d’efforts et la collaboration « homme-machine » permet de gagner en précision et en efficacité, en plus de supprimer les tâches répétitives à peu de valeur ajoutée des collaborateurs. L’ergonomie et la productivité fonctionnent donc de pair. Pour les besoins du lancement du moteur nouvelle génération Leap, nous avons créé la « Pulse line » constituée de trois lignes d’assemblage totalement automatisées et robotisées. Ce dispositif permet de réduire le nombre de rebuts, d’erreurs et d’assurer une efficacité ergonomique maximale pour faire face aux exigences de montée en cadence. Safran Helicopter Engines a pour sa part inauguré en fin d’année 2016 une ligne automatisée de fabrication de palles de turbines d’hélicoptères. Usinage, contrôle et affinement de la pièce : tout est automatisé. Les opérateurs agissent sur des missions de pilotage et de vérification du bon fonctionnement des processus.
Quels sont les trois projets phares de Safran ?
La filiale Safran Analytics est déjà totalement orientée sur le big data. Ainsi, des experts data analyst et data scientist ont été recrutés pour structurer des réponses pour l’ensemble des entités de Safran. Ensuite, un campus de « fabrication additive 3D » sera prochainement créé en région bordelaise avec une ouverture prévue en 2021. Cette nouvelle entité viendra renforcer notre expertise déjà acquise dans le domaine.Safran est membre du Consortium à l’initiative de la création d’un centre de formation de 2 000 mètres carrés, le CampusFab, qui ouvrira ses portes à la rentrée à Bondoufle dans l’Essonne. Cet espace 4.0 accueillera chaque année 300 salariés et une centaine d’apprentis qui viendront se former aux métiers de l’Usine du Futur en travaillant avec les dernières technologies telles que la réalité virtuelle ou augmentée, des objets connectés, des robots collaboratifs…
Comment accompagnez-vous les salariés ?
Conscient des enjeux de l’entreprise, Safran Université a impulsé un processus complet de conduite du changement et d’identification des compétences nouvelles en automatisme. Plus de 500 collaborateurs participent chaque année à des programmes sur ces thématiques auxquelles nous tenons particulièrement. Par exemple, sur le sujet de l’intelligence artificielle, plusieurs modules seront proposés : des journées d’acculturation, des sessions d’information avec des experts ou encore de la sensibilisation.
Ces évolutions sont-elles bien perçues et acceptées par les salariés ?
À partir du moment où il y a changement, il y a inquiétude. Il ne faut pas nier ces préoccupations, assumer les évolutions et travailler de concert pour trouver des solutions appropriées. Toutes les entreprises changent leur mode de fonctionnement et, la plupart du temps, cela se passe sans accrocs. L’objectif est de construire le futur sans heurts et dans une dynamique positive. Lorsque les équipes dirigeantes sont conscientes des inquiétudes et sensibles aux impacts sociaux, psychologiques et opérationnels, la transition s’effectue normalement. L’enjeu est alors de communiquer, de donner de la visibilité aux salariés en leur montrant qu’ils seront accompagnés et qu’ils ne sont pas en situation de risque de perdre leur emploi.
Les robots vont-ils remplacer les humains ?
Bien sûr, c’est l’objectif même de la robotisation ! Ce n’est en revanche guère dans le sens où nous l’entendons. Le robot ou le cobot vient en appui et en aide de l’opérationnel sur des actions pour lesquelles il soulagera le collaborateur et où il agira de manière plus précise et rapide. Les hommes et les femmes seront toujours nécessaires pour contrôler le livrable. Si avant, la personne faisait l’action, maintenant, elle doit être capable de spécifier l’action au robot et de contrôler ce qui est en train de se passer. Ce sont simplement les métiers qui évoluent. Nous, à la Direction des Ressources Humaines, sommes en charge d’aider les collaborateurs à s’adapter à cette évolution du poste.
Iriez-vous alors jusqu’à dire que l’industrie du futur peut être source de création d’emplois ?
Oui, tout à fait, l'industrie du futur génère des emplois ! Chez Safran, nous avons une croissance de 5 % par an et une partie importante des effectifs est sur le point de partir à la retraite. L’année dernière, nous avons embauché 13 000 personnes et d’ici 2022, 45 000 recrutements sont prévus soit la moitié des effectifs actuels.
Tom Fouan