Loi Avenir professionnel : le tout-à-l’autonomie
« L’autonomisation absolue »
La réforme ambitionne d’opérer un véritable changement de paradigme : placer les individus en situation de devenir, acteurs de leur évolution professionnelle. Antoine Foucher, directeur de cabinet de la ministre du Travail, ouvrait ainsi le 28 mars 2019 la quatrième édition de U-Spring en évoquant un principe d’« autonomisation absolue ». Mais l’ensemble des études le confirment, les Français ont tendance à adopter une position attentiste, passive, vis-à-vis de l’évolution de leurs compétences. Les salariés en particulier attendent de leur entreprise qu’elle désigne la formation qui leur convient, et l’organise. En témoigne un sondage réalisé par Randstad et dont les résultats ont été publiés en mars 2019 : un Français sur trois ressent le besoin d’acquérir de nouvelles compétences numériques, mais neuf personnes interrogées sur dix considèrent qu’il revient à leur employeur de les former au digital… On mesure dans ces conditions l’ampleur du changement de cap attendu.
Une réforme sur appli
Pour opérer cette transformation, les auteurs de la réforme misent sur la nouvelle formule du compte personnel de formation (CPF), et sur un outil : l’application, annoncée pour l’automne 2019. Elle constituera « l’instrument de la prise de conscience et du changement culturel » selon Antoine Foucher. La promesse est simple : chacun pourra, depuis son téléphone, accéder au montant de son crédit disponible puisque le CPF est désormais libellé en euros et plus en heures. Seront également mentionnés les programmes éligibles, avec une entrée géographique et une entrée thématique, et la précision des dates et heures des formations proposées. Choisir, réserver et payer sa formation sera donc possible directement sur l’application. Rien de moins qu’un « Tripadvisor de la formation » selon Muriel Pénicaud.
Investir et abonder
Dans un système désormais centré autour de l’individu, les entreprises cherchent leur juste place. Déjà inquiètes – pour celles de plus de cinquante salariés du moins – de la perte des budgets précédemment financés par les Opca, elles se posent par ailleurs une première question : comment construire leur plan de développement des compétences (nouveau nom du plan de formation), sans être certaines de pouvoir mobiliser les CPF des salariés concernés ? Les auteurs de la réforme répondent par l’accord individuel, ou l’accord collectif. L’accord de branche, lui, qui viendrait définir les règles d’un abondement des CPF à l’échelle de la branche pour quelques formations prioritaires, paraît plus théorique, à ce stade en tout cas. Certaines entreprises perçoivent d’ores et déjà comment l’abondement pourra devenir un argument de marque employeur. Elles attendent toutefois que son statut fiscal et social soit précisé. En tout état de cause, les DRH sont appelés à faire évoluer leur organisation vers une logique d’investissement. Il leur faudra convaincre codir et comex de l’enjeu stratégique de consacrer des fonds à la formation des salariés. Pour Antoine Foucher, il est indéniable que la loi Avenir conduit les entreprises à « réinterroger leurs pratiques de formation ». D’après lui, toutefois, celles qui sauront les premières se saisir du système prendront « une longueur d’avance décisive ». À bon entendeur.
Marie-Hélène Brissot