Confrontée à une expertise pour risque grave décidée par un CSE, l’entreprise doit décider si elle conteste ou non le principe de cette expertise. Depuis 2016, tout a été fait pour que ce choix soit précipité.

C’est peu dire que le moment ou les représentants du personnel votent une expertise pour risque grave constitue un moment délicat pour l’entreprise. Depuis une dizaine d’années, c’est-à-dire depuis l’essor de la notion de risques psychosociaux, le sujet a donné lieu à de nombreux contentieux et à une littérature abondante. En cette matière, la réaction de l’entreprise au moment du vote, et dans les jours qui suivront, est décisive. Elle va placer l’entreprise face à des choix importants : que répondre aux élus ? La contestation est-elle opportune ? Sur quel sujet doit-elle porter ? Quand faut-il l’exercer ? Autant de sujets sur lesquels il n’existe pas de réponse uniforme, mais pour lesquels l’expérience peut donner des pistes.

Comment réagir au moment du vote de l’expertise ?
Que dire en réunion ?
Par définition, le moment du vote d’une expertise pour risque grave consiste de la part des élus à émettre, à tort ou à raison, un constat sévère, en tout cas inquiet, sur les règles de sécurité au sein de l’entreprise. De notre point de vue, l’entreprise devrait, à ce moment particulier, éviter deux écueils. Le premier consisterait à nier purement et simplement le constat effectué et à mettre en cause l’objectivité des élus. Qu’elle soit fondée ou non, la motivation du recours à l’expertise effectuée par les élus correspond à leur point de vue et à leur prérogative, que l’entreprise doit respecter. Un second écueil consisterait, sans vérification préalable, à considérer en réunion que le recours à l’expert est nécessairement fondé. Une telle prise de position, qui apparaîtra sur le procès-verbal, risquerait de mettre à mal toute possibilité ultérieure de contestation. À notre sens, la meilleure réaction consiste à prendre acte de la décision des élus et à engager les vérifications nécessaires afin de vérifier si leur constat peut ou non être partagé.
Que faut-il vérifier après la réunion ?
Tout dépend évidemment de la motivation employée par les élus dans leur délibération justifiant le recours à un expert. Cela étant, en matière de risques psychosociaux, un certain nombre d’indicateurs sont souvent
cités : les rapports annuels du médecin du travail traitent-ils du sujet et, dans l’affirmative, de quelle manière ? L’entreprise connait-elle un taux d’absentéisme anormal et pour quelle raison ? Des signalements pour « danger grave et imminent » ont-ils été effectués par les élus dans le temps précédant l’expertise ? Ces éléments doivent être vérifiés de manière impérative, compte tenu de l’enjeu d’une éventuelle
contestation judiciaire. En effet, l’entreprise qui s’engagerait de manière légère dans une contestation de cet ordre risquerait de voir « officialisée » par une décision de justice l’existence du risque grave qu’il entendait précisément contester. Une telle situation n’est pas sans conséquence, en particulier si elle se situe, par exemple, dans un contexte de réorganisation, ou si certains des salariés concernés par le risque grave ont engagé des contentieux prud’homaux.
 

Comment engager la contestation ?
Le délai de contestation

C’est un âpre sujet, dont l’enjeu est plus important qu’il n’y paraît. Initialement, la loi ne fixait pas de délai pour engager une contestation. L’entreprise pouvait, en théorie, contester l’expertise alors que l’expert avait commencé ses travaux, voire à leur issue. Puis, divers CHSCT ont invoqué une nécessité pour l’entreprise d’engager son action dans un « bref délai » et ont prétendu qu’une contestation tardive serait irrecevable. Certaines cours d’appel se sont montrées sensibles à cette argumentation, si bien que la jurisprudence sur le sujet est devenue hétérogène, certaines juridictions imposant un délai, d’autres non.
Les partisans du « temps court » pour contester faisaient valoir qu’une allégation de risque grave n’était pas compatible avec une possibilité de contestation trop longue. Les partisans du « temps longs » estimaient que le fait d’enfermer le délai de contestation dans un temps restreint ne favorisait pas la négociation. Ces derniers n’ont pas été entendus.
En effet, la loi du 8 août 2016 dite El Kohmri a modifié la situation et fixé un délai de contestation à 15 jours à compter de la délibération du comité. Ce délai a été porté à 10 jours par l’ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017. Un débat est apparu sur la question de savoir si l’entreprise devrait, dans ce délai, non seulement assigner l’instance, mais également déposer son assignation auprès de la juridiction. Cela peut sembler être une nuance procédurale, mais a pour conséquence concrète que l’entreprise dispose de très peu de temps pour prendre sa décision et préparer son assignation, ce qui est regrettable pour un choix de cette importance. Par une décision publiée au bulletin du 6 juin 2018 (pourvoi n° 17-17.594), la chambre sociale a considéré que le tribunal était valablement saisi par la délivrance de l’assignation. En l’absence de confirmation actuelle au sujet du CSE, la prudence conduit à tenter, lorsque cela est possible, de placer cette assignation dans le délai de dix jours.

L’objet de la contestation
Les dispositions de l’article L 2315-86 du code du travail, telles qu’elles seront applicables à compter du 1er janvier 2018, prévoient la possibilité de contester la nécessité de l’expertise, le choix de l’expert, ainsi que le coût, l’étendue ou la durée de l’expertise. L’énoncé dans la loi de cette gamme de contestation est certes louable. Mais concrètement, l’employeur qui ne contesterait pas le principe de l’expertise, mais
seulement son étendue ou son coût risque fort de ne pas être entendu.
En effet, pour des raisons sans doute culturelles, l’employeur qui ne contestera pas l’existence du risque grave risque fort de se voir opposé que, de ce seul fait, il en aurait admis l’existence. Les raccourcis étant
rapides en cette matière, on risque de considérer que l’employeur qui ne conteste pas le risque grave est par définition fautif, de sorte que toute contestation de sa part – même fondée ou raisonnable – sur l’étendue
de l’expertise (ou pire : son coût) sera ipso facto considérée comme odieuse ou, au mieux, inaudible. En d’autres termes : dans une matière ou la conciliation serait la bienvenue, tout est fait pour contraindre
l’entreprise à contester l’expertise immédiatement et sous tous ses aspects.

L’issue de la contestation

La notion de risque grave
À partir de quel degré un risque doit-il être considéré comme grave ? Diverses doctrines ont été écrites sur le sujet, fixant des critères ou estimant pouvoir dégager une uniformité dans la jurisprudence. De l’avis des auteurs, la réalité est plus complexe. La notion de risque grave est en réalité très subjective. Pour certaines juridictions, une ou deux altercations entre un salarié et son supérieur hiérarchique révéleraient l’existence d’un risque grave ; ce type de décision, si elle paraît constituer une vision pour le moins extensive de la notion de risque grave, ne peut être exclu. D’autres juridictions sont plus exigeantes et s’attachent à une analyse des pièces et à une vision plus concrète des risques allégués au sein de l’établissement concerné. Il est compréhensible que, dans une matière qui peut souvent concerner les risques psychosociaux, la notion de « risque grave » ne soit pas encadrée par des critères trop précis ou trop rigides. Pour autant, on
peut regretter l’importance de l’aléa qui s’attache à ce type de contestation, dont l’issue est parfois imprévisible pour toutes les parties concernées.
Les préconisations de l’expert
Que la contestation de l’expertise aboutisse ou non, l’entreprise ne doit pas à notre sens laisser sans suite la délibération des élus. Même si la contestation de l’expertise aboutit de manière favorable, celle-ci demeure un signal fort adressé à l’employeur, auquel celui-ci devra apporter une réponse dans le temps, sauf à voir le sujet « ressurgir » à court ou moyen terme. Si la contestation de l’expertise est rejetée, alors l’entreprise devra travailler dans les meilleures conditions
possible avec l’expert. À l’issue de ces travaux, celui-ci fera connaître ses préconisations. L’entreprise devra y apporter toute son attention et les traduire de manière concrète. En effet, en cas de contentieux ultérieur, ce point – on s’en doute – fera l’objet d’une attention toute particulière.

Par Florence du Gardier et Pierre Safar, avocats associés. Dupuy & associés

 

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