« Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue » : par ce vers parmi les plus connus du répertoire théâtral français, Phèdre décrit l’émotion violente dont elle est la proie et qui, comme toute émotion, s’inscrit dans le corps. Réplique impensable en entreprise ?

Il y a pourtant les mains moites et la légère nausée avant une importante prise de parole, la poitrine qui se gonfle à l’annonce du projet gagné, le poing qui se serre quand l’idée vaillamment défendue est rejetée, l’incapacité à sourire aux bons résultats commerciaux parce qu’à la maison tout va mal : les émotions sont omniprésentes.
Longtemps vouées à un profond déni dans le monde du travail (à défaut de ne pas les éprouver, on faisait tout pour ne pas les reconnaître, ni chez soi, ni chez les autres), elles font aujourd’hui l’objet d’un traitement ambigu : les collaborateurs peuvent (doivent ?) être eux-mêmes et exprimer leurs émotions, mais si ces dernières s’avèrent trop longtemps ou trop souvent négatives, ils seront peut-être invités à les « gérer » par le biais du développement personnel, ainsi renvoyés à leur seul responsabilité pour ce qu’ils vivent, sans que soient interrogés les conditions de travail ni les facteurs organisationnels.
L’importance extrême aujourd’hui accordée à la présentation de soi, à la communication non-verbale, au formatage positif des mots et des gestes, peut donner l’impression que tout salarié, quelle que soit sa fonction, se double d’un comédien, qui module sa voix, sa posture, son expression faciale pour obtenir l’effet souhaité. Dans le cas du comédien, c’est son cœur de métier, il est payé pour. Dans les autres cas, on parle de « travail émotionnel » - celui-ci ne fait pas partie de la fiche de poste, ne fait pas l’objet d’une rémunération en propre, et pourtant il constitue une part non-négligeable du quotidien professionnel.
Il est révélateur que la robotique actuelle s’intéresse massivement à la capacité des machines à reconnaître et « produire » de l’émotion : la valeur marchande de cette empathie artificielle (peut-être plus recherchée encore que l’intelligence du même nom) n’est qu’une ambigüité de plus dans la confrontation du travail et des émotions.
Aucun doute cependant, les sueurs froides, les éclats de rire et les palpitations restent l’apanage du genre humain. Et puisque les émotions semblent plus aisément supportables sur scène qu’au bureau, Co.théâtre vous invite à vibrer avec les personnages du spectacle présenté le 9 avril 2019 à Paris.

Sarah Vermande, référente artistique - Co-fondatrice, Co.théatre

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