En 2018, la vague MeToo a placé le harcèlement sexuel sous le feu des projecteurs et libéré la parole des femmes sur la réalité des agissements sexistes, y compris au travail. Mais les entreprises à s’être véritablement emparées du sujet restent peu nombreuses.

Depuis le 1er janvier 2019, les groupes de plus de 250 salariés doivent disposer d’un référent prévention des agissements sexistes. Il s’agit là d’un premier pas destiné à contraindre les entreprises à avancer sur ce problème sensible dont elles peinent à se saisir. Ce constat est confirmé par Jérôme Bouchet, directeur de l’innovation et des services du cabinet JLO, spécialiste de la prévention des risques psychosociaux. « La majorité des entreprises se sont emparées du sujet de l’égalité hommes-femmes du fait des obligations réglementaires et ont mis en place des indicateurs ; certaines déploient des actions concrètes. Ce n’est en revanche pas le cas concernant les agissements sexistes. » Sur cette question, les employeurs ne s’investissent que « lorsqu’ils doivent faire face à des situations présumées de harcèlement sexuel ».

Outiller les entreprises

Le sexisme en entreprise « se situe à l’articulation entre des problèmes individuels et organisationnels, explique Jérôme Bouchet. La plupart des éléments qu’il touche sont très personnels et questionnent la posture individuelle des managers comme de leurs collaborateurs. » Les agissements sexistes constituent un tel tabou et génèrent un tel degré d’anxiété que, selon le spécialiste, « l’un des moyens les plus efficaces pour démarrer une action de prévention est de commencer par outiller l’organisation pour répondre à des situations présumées ». L’objectif est de rendre « le sujet plus concret, plus pratique ».

Le dispositif innovant de France Télévisions

C’est notamment le choix opéré par France Télévisions. En mars 2017, le réseau de femmes du groupe, « Des images et des elles », décide de lancer une vaste opération contre le sexisme et invite les collaboratrices de l’entreprise à inscrire sur des post-it des propos dont elles ont été témoins ou victimes. À la fin de la journée, le hall d’entrée du siège est recouvert de 280 messages. « Il nous fallait réagir à la souffrance des collaboratrices », explique Catherine Bessis, bras droit de la présidente Delphine Ernotte. Après une phase de réflexion, le réseau recommande la mise en place d’un groupe composé de neuf salariés d’horizons divers : RH, managers, au siège ou en région. Chacun d’eux a reçu une formation spécifique et a été équipé d’une ligne de téléphone directe dédiée. L’ensemble des salariés ont été informés de leur existence et de leur rôle et peuvent les contacter pour les saisir d’agissements sexistes. La victime sera ensuite reçue par un binôme chargé de procéder aux premières investigations.

« Il nous fallait réagir à la souffrance des collaboratrices »

Au vu de ses conclusions, le groupe de travail décidera s’il y a lieu de déclencher une procédure interne. Le dossier sera ensuite suivi en lien avec les ressources humaines. « Nous envisageons des actions de prévention et de sensibilisation, précise Claire Quidet, responsable formation, emploi et compétences. Mais nous avons voulu répondre en priorité à l’urgence de la situation. » Le choix d’un collectif composé de salariés volontaires n’est pas anodin. « C’est très engageant, explique Catherine Bessis, pour les volontaires évidemment… mais pour l’entreprise également. » France Télévisions fait figure de pionnier. « Nous rencontrons beaucoup d’autres entreprises pour leur parler du dispositif, raconte Catherine Bessis. Nombre d’entre elles nous confient que leur organisation est beaucoup moins avancée que la nôtre. » Claire Quidet reconnaît que le groupe de travail a pu œuvrer sereinement « sans la pression de l’actualité ». Les entreprises restées attentistes jusqu’à ce jour ne pourront pas bénéficier d’un tel confort.

Marie-Hélène Brissot

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