La Cour de cassation entend bien s'inviter dans les débats parlementaires sur le statut des travailleurs des plateformes. Sa chambre sociale a en effet rendu le 28 novembre un important arrêt par lequel elle se prononce en faveur de la requalification en contrat de travail de la relation entre un livreur à vélo et Take Eat Easy. Une décision à contre-courant des projets du gouvernement ?

La chambre sociale était saisie d'une affaire opposant un coursier à vélo à la société de livraison Take Eat Easy. Elle a décidé que les faits caractérisaient l'existence d'un lien de subordination entre la plateforme et le coursier, ce qui conduit à la requalification de leur relation en contrat de travail.

La Cour a retenu deux éléments pour aboutir à cette conclusion. Le premier d'entre eux était le système de bonus/malus mis en place par Take Eat Easy : une pénalité - "strike" -  si le livreur ne répond pas à son téléphone, une prime calculée en fonction du temps d'attente, le "Time bank" ... Ce dispositif constitue pour la Cour la manifestation d'un pouvoir de sanction de la plateforme exercé sur le livreur. Le second élément jugé révélateur de l'existence d'un contrat de travail est plus original et permet d'envisager une portée importante à la décision. Les juges ont en effet relevé le fait que l'application était dotée d'un système de géolocalisation "permettant le suivi en temps réel par la société de la position du coursier et la comptabilisation du nombre total de kilomètres parcourus", ce qui implique que la plateforme ne se limitait pas à mettre en relation le restaurateur et le coursier.

Pour Joël Grangé, associé du cabinet Flichy Grangé Avocats, l'arrêt "n'est pas particulièrement surprenant" dans ses motivations. Selon lui, la question de la géolocalisation pourrait être débattue, car "encore faut-il déterminer qui de la course ou du coursier est géolocalisé."

"En tout état de cause, précise-t-il, se pose la question de l'articulation de cette décision avec les dispositions du projet de loi d'orientation des mobilités qui prévoit l'instauration d'une charte des droits et obligations des travailleurs des plateformes." Un amendement de la loi Avenir professionnel prévoyait en effet que la requalification puisse être évitée par la conclusion d'une charte des droits sociaux entre la plateforme et son travailleur. Le Conseil constitutionnel avait retoqué la disposition mais le législateur a à nouveau intégré cette idée de charte dans le projet de loi d'orientation des mobilités.

La Cour de cassation souhaite-t-elle manifester son scepticime face à cette troisième voie - ni salarié ni travailleur indépendant - que constituerait les travailleurs liés par une charte? Elle a en tout cas choisi de donner à sa décision la publicité la plus large : publication aux bulletins, mise en ligne d'une note explicative...

Cette jurisiprudence est à suivre de près, d'autant que plusieurs pays voisins de la France ont fait le choix de qualifier de salariés des travailleurs de plateformes. Les chauffeurs Uber sont déjà considérés comme tels aux États-Unis et en Angleterre et l'Espagne a également tranché en ce sens cet été au sujet d'un coursier Deliveroo.

Marie-Hélène Brissot

 

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