Matthieu Courtecuisse (SIA Conseil) : « L’autorité, conquise et non décrétée, est l’essence du leadership »
Décideurs. Quelle est selon vous l’essence du leadership ?
Matthieu Courtecuisse. Le leader se légitime à la fois par sa compréhension des enjeux et par sa capacité à les atteindre concrètement au côté des équipes. Le temps des généraux observant la bataille à la lunette depuis une position reculée est révolu, mais l’idée du patron-VRP appartient elle aussi à une conception trop étroite. Combiner ces deux visages, c’est l’essence du leadership aujourd’hui.
Décideurs. Quelles sont les qualités nécessaires pour devenir un bon leader ?
M. C. Tout dépend du code génétique de l’entreprise où s’enracine le leadership. L’histoire montre que certains leaders reconnus dans une entreprise échouent à transposer ce leadership dans une autre. Cela rend modeste. Pour autant, la capacité d’adaptation à un environnement stable n’est pas une réponse satisfaisante : ce serait faire l’éloge d’un certain conformisme, voire d’une compréhension purement politique du leadership. Dans nos missions, qui sont souvent orientées vers l’opérationnel, nous voyons que le leader a comme qualité essentielle de faire converger son ambition personnelle avec celle de l’entreprise. L’ambition n’est pas un mot très aimé en France. C’est pourtant une valeur positive si elle est une volonté d’apprendre, de grandir, et non une volonté statutaire. Pour être un bon leader, il faut savoir se méfier des galons et de la reconnaissance acquise.
Décideurs. Quels sont les défauts que peut avoir un leader ?
M. C. Le leader profondément impliqué dans sa tâche peut manquer de discernement dans l’analyse de ce qu’il adviendra de son entreprise et de lui personnellement. Le maintien de la juste distance entre l’entreprise et lui est salutaire, mais difficile à trouver. Même les moins affectifs des leaders engagent dans leur action une part importante de leur personnalité.
Décideurs. Quelles sont les valeurs fondamentales du leadership ?
M. C. Tout leader se reconnaît à la qualité de son entourage. Une fois cela posé, la valeur fondamentale, c’est la confiance. On ne peut pas à la fois remettre une part importante du sort de l’entreprise entre les mains de collaborateurs ou d’associés triés sur le volet et ne pas faire confiance, ou s’entourer de gens inféodés. Le reste découle de cette valeur clé : clarté des objectifs, transparence ou, pour parler comme Jack Welch (ancien patron de General Electric de 1981 à 2001, NDLR), « franchise ». Les valeurs morales universelles – respect, responsabilité – ont évidemment leur intérêt, mais elles sont évidentes, alors que la confiance est un véritable enjeu au quotidien, un moteur d’une très grande puissance.
Décideurs. Comment un leader peut-il user de son autorité et de son pouvoir ?
M. C. L’autorité est l’essence du leadership. Elle se conquiert mais ne se décrète pas. Même un propriétaire d’entreprise doit la conquérir. Être actionnaire majoritaire n’est pas suffisant. Le pouvoir, c’est différent : c’est une série de leviers placés entre les mains d’un individu qui peut être totalement dépourvu d’autorité ! Le mieux est de bâtir et de consolider son autorité au jour le jour, de l’attester afin d’avoir à recourir le moins possible aux leviers du pouvoir, qui sont généralement le dernier argument. L’autorité, c’est la compétence et l’implication, le pouvoir c’est la force et le statut. Pour le dire en français, le leadership, c’est du soft power !
Décideurs. En quoi la notion de pouvoir est-elle complémentaire ou antinomique de celle du leadership ?
M. C. Toute structure humaine suppose un pouvoir qui permette de réguler, trancher, décider. Le leadership, c’est autre chose. C’est une valeur morale que la collectivité reconnaît chez l’un des siens. Un actionnaire majoritaire ou un mandataire social dispose du pouvoir, mais il lui faut en plus asseoir son autorité. L’exercice du pouvoir pour le pouvoir est presque à coup sûr un facteur de blocage. En particulier sur les collaborateurs jeunes et bien formés, les symboles du pouvoir opèrent un effet très limité, voire contre-productif.