Pierre-Étienne Lorenceau (Leaders League) : « Le leadership cherche l’adhésion. Le pouvoir vise l’exécution »
Décideurs. Qu’est-ce que le leadership ? Quelle en est l’essence ?
Pierre-Étienne Lorenceau. Le leadership est un système de gouvernance, et de valeurs, fondé sur :
1- l’adhésion, pas le pouvoir ni la contrainte.
2- l’autorité de l’exemplarité (donner/ incarner un bel exemple), pas de la fonction ni du statut,
3- la noblesse d’une cause, d’idées et d’objectifs solides et inspirés,
4- le mouvement, car qui suivrait un homme à quai, statique ?
5- l’affection : la passion pour une cause, pour ceux qui la suivent, pour « les siens ».
Décideurs. Quelle différence faitesvous entre un leader et un manager ?
P.-É. L. La différence est fondamentale : un leader aime sortir des sentiers battus, cherche la rupture (disruption), et veut établir de nouveaux équilibres. Le manager aime gérer les équilibres existants, déjà si difficiles à maintenir dans un monde qui change. Cette différence est relative : aucun grand leader ne peut émerger sans s’entourer de brillants managers, et sans avoir aussi, en lui, conscience de l’importance du management. Mais le souci des équilibres existants ne doit pas l’empêcher de chercher une vision nouvelle, une rupture, la voie propre pour son entreprise et ses clients.
Décideurs. Quel est l’usage de l’autorité et du pouvoir pour un leader ?
P.-É. L. Le pouvoir et l’autorité sont deux choses distinctes. Le pouvoir ne se négocie pas : il décide, tranche, impose. La position du pouvoir peut être légitime, en droit, ou non (abus de pouvoir). L’autorité est fondée sur une foule de faits explicites ou implicites (solidité des arguments, expérience, charisme, etc.). L’autorité n’est pas conférée nécessairement par « en haut » mais par « en soi » : on fait, ou non, autorité. L’autorité entraîne l’adhésion. L’adhésion entraîne la décision, collective - et non unilatérale et top down.
Décideurs. En quoi le leadership est-il distinct du pouvoir ?
P.-É. L. Le leadership est fondé sur l’adhésion. Le pouvoir sur la légitimité (sauf abus). Le leadership, comme mode de gouvernance, a trois grandes distinctions par rapport au pouvoir : il unit pour mieux régler quand le pouvoir tend à diviser pour mieux régner. Ensuite, le leadership entraîne un mouvement bottom up fondé sur l’écoute des moins gradés, voire des non-gradés. À l’inverse, le pouvoir est top down : il descend du haut de la hiérarchie vers le bas. Si le pouvoir n’écoute plus, il peut rester légitime, mais perd son autorité, et peut devenir étouffant, absurde, mal ressenti. Enfin, le leadership cherche l’adhésion. Le pouvoir vise l’exécution (des ordres). L’usage des deux modes de gouvernance est à la fois antinomique, mais paradoxalement complémentaire. Néanmoins, plus on utilise le mode leadership, plus on rend les siens créatifs, fiers, autonomes.Au contraire, en utilisant le pouvoir, on gagne en rapidité ce qu’on perd en adhésion. Jusqu’au dérapage ?
Décideurs. Être un leader et être un homme de pouvoir, est-ce distinct ?
P.-É. L. Un leader peut utiliser les pouvoirs que son poste (top management
ou pas) lui donne légitimement. Utiliser ces pouvoirs ne veut pas dire en abuser. Mais, au fond de lui-même, chaque décideur doit choisir : l’essentiel de ma relation aux autres doit-elle se construire sur l’adhésion, sur le leadership ? Ou est-ce que je veux aller à l’essentiel, ne pas m’embarrasser de consensus et m’appuyer tout simplement sur le pouvoir qu’on m’a donné ?
Décideurs. Quels sont les trois leaders qui vous inspirent ? Pourquoi ?
P.-É. L. Gandhi, parce qu’il prouve que chacun peut changer le monde, sans violence : par la force de son exemple, de son sacrifice, et briser les chaînes (anglaises) d’un empire (indien). Steve Jobs, parce qu’il a changé le monde par ces innovations de rupture : le microordinateur, puis Pixar, puis l’iPod jusqu’à l’iPad. Einstein, enfin, qui n’avait aucune « troupe » mais a rappelé à tous, appris à tous, l’humilité à avoir devant les certitudes : tout est relatif.