Extraits choisis des interviews menées par Eric-Jean Garcia pour son livre Leadership : Perspectives sur l’exercice du pouvoir.

Vincent Bolloré,

 

Président du groupe Bolloré, du conseil d’administration du groupe Havas, conseiller à la Banque de France.

 

Comme le Général de Gaulle et Antoine de Saint-Exupéry, je pense qu’il est fondamental de préserver une certaine distance dans ses relations au travail. Un patron ou un dirigeant doit être capable de supporter ce que l’on appelle la « solitude du chef ». Pour cela, il doit résister à l’envie d’être aimé par son entourage professionnel. Afin d’éviter toute ambiguïté dans ses relations, il est donc préférable de faire une séparation claire entre sa vie privée et sa vie professionnelle. De toute façon, ceux qui ne savent pas gérer une certaine distance dans leurs relations professionnelles se retrouvent assez vite coincés. À terme, c’est même leur vie privée qu’ils mettent en danger.

 

 

Dominique Hériard Dubeuil,

 

Présidente du conseil d’administration de Rémy Cointreau. Membre du comité exécutif du Medef et administratrice.

 

Il arrive que des décisions soient particulièrement difficiles à prendre, notamment lorsque les enjeux sont très importants. Toute la responsabilité de ce type de décisions repose alors sur les épaules du patron, qui va naturellement ressentir une certaine solitude. La solitude du chef augmente d’autant plus que le capital confiance entre les dirigeants et les actionnaires est faible. Cette notion de solitude est certainement moins persistante dans les entreprises familiales que dans celles où la confiance entre les dirigeants et les membres du conseil d’administration n’est pas de mise. Certaines entreprises familiales ont la chance d’avoir un leadership fort, compétent et entouré par une famille impliquée et solidaire. Dans ces entreprises, ce n’est pas Dallas. (…) Le capital confiance, symptomatique de ces entreprises, permet de prendre des décisions importantes en parfaite concertation. La responsabilité des décisions ainsi prises repose sur tous les membres de la famille impliqués, ce qui a pour effet de relativiser la solitude du patron.

 

 

Frédéric Oudéa,

 

Président-directeur général de la Société générale.

 

La position de numéro un dans un groupe est tout à fait spéciale. Les décisions importantes doivent être assumées personnellement, sans possibilité de recours auprès de quelqu’un au-dessus de soi. Cela dit, le travail préalable à la prise de décision est généralement très collectif (…). Et, puis, il y a un moment où il faut cesser de consulter pour décider et agir. (…) Pourtant, malgré toutes les précautions prises, on n’est pas toujours certain d’avoir pris la bonne décision. Certaines sont des prises de risques importantes compte tenu des informations disponibles. D’autres mettent en jeu des intérêts contradictoires. (…) Ce qui différencie les très bons dirigeants des moins bons est leur « ratio décisionnel », c’est-à-dire le nombre de bonnes décisions prises par rapport aux nombre de mauvaises.

 

 

Georges Pauget,

 

Président d’Amundi, président de Viel & Cie, Économie Finance & Stratégie et administrateur. Ancien directeur général du groupe Crédit Agricole S.A. et président de LCL.

 

La solitude existe ponctuellement, dans quelques moments cruciaux. Par exemple, ayant personnellement vécu le krach des subprimes en 2007-2008, je peux dire qu’il y a eu des moments horribles pendant lesquels j’avais l’impression que tout s’écroulait sous nos pieds. Dans ce genre de moment, il est indispensable de rester solide, notamment en donnant l’impression que vous êtes prêt à être celui qui restera debout jusqu’à la fin. Cela étant, je n’étais jamais vraiment seul dans l’exercice quotidien du leadership, y compris pendant les épisodes les plus compliqués. Mais une des caractéristiques de mes équipes est qu’elles sont constituées de ce que j’appellerais des vieux compagnons de cordées.

 

 

Guillaume Poitrinal,

 

Président du directoire d’Unibail-Rodamco.

 

On peut assez vite se retrouver seul. Et, lorsque l’on est seul, on ne doit pas se précipiter. Au contraire, c’est le moment d’élargir la consultation, de trouver des gens qui sont passés par là, des anciens. Et puis, comme le conseillait ma mère qui a toujours eu beaucoup de bon sens, éviter de décider le jour même et laisser passer une nuit. Les idées sont souvent plus claires le lendemain. Dans un monde où les Blackberrys, les e-mails et les SMS sont partout, on est souvent tenté de prendre des décisions instantanément. Selon l’adage consacré, il est toujours dangereux de confondre vitesse et précipitation. Le leader doit être capable de s’échapper de l’instantané. Il est payé pour réfléchir puis décider, pas pour réagir.

 

 

Patrick Ricard,

 

Ancien président du conseil d’administration de Pernod Ricard (décédé en 2012).

 

Un dirigeant est parfois seul devant ses responsabilités. Quand tout le monde s’est exprimé et qu’aucun consensus n’apparaît, il faut bien que quelqu’un prenne la décision finale. Mais c’est une solitude relative, notamment parce que les décisions ne sont jamais prises indépendamment du contexte. (…) Certains dirigeants d’entreprises ne doivent pas supporter la solitude, car ils se laissent approcher par une cour de personnes décidées à obtenir leurs faveurs tout en écartant les gêneurs potentiels sous prétexte de protéger leur bienfaiteur. (…) À titre personnel, j’ai toujours évité les courtisans. (…) L’excès de proximité favorise le relâchement, le laisser-faire et le développement de rapports de plus en plus familiers. Pour éviter cet engrenage, il faut garder une certaine distance, celle là même qui donne à la fonction un minimum de prestige. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les cathédrales et les sièges sociaux des banques sont toujours des monuments imposants et extrêmement bien situés. La familiarité entre un dirigeant et ses équipes n’est jamais un cocktail gagnant. En ce qui me concerne, je me sens très proche de mes collaborateurs et de nos dirigeants de par le monde. Mais je ne suis « copain » avec aucun d’entre eux.

 

 

Chris Viehbacher,

 

Directeur général de Sanofi et président de Genzyme.

 

La solitude du chef existe pour au moins deux raisons assez simples. La première est que les noms des patrons de grandes entreprises sont toujours associés au destin des organisations qu’ils dirigent, et ce, pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, s’il y a un problème quelque part dans le groupe Sanofi, c’est mon nom qui va être immédiatement visible dans les médias. La seconde tient à la nature des décisions à prendre en fonction de son niveau de responsabilité. Les décisions qui se fondent sur des éléments essentiellement calculables ou qui dépendent de décisions antérieures sont généralement prises par les niveaux intermédiaires. Les décisions par définition plus aléatoires, parce que l’on a très peu de données chiffrées ou aucun historique, sont prises aux niveaux les plus élevés. En dernier ressort, c’est le CEO qui prend les décisions les plus risquées. En acceptant d’assumer toutes les conséquences des décisions importantes qui engagent l’avenir de l’entreprise et de toutes ses parties prenantes, le CEO doit également accepter d’être jugé pour ce qu’il a fait, mais aussi pour ce qu’il n’aura pas fait. Mais tout cela ne veut pas dire que le CEO doit travailler de manière isolée vis-à-vis de ses collaborateurs et de ses équipes. D’ailleurs, pour être efficaces, ces derniers doivent être choisis pour leur capacité à dire franchement ce qu’ils pensent des situations difficiles auxquelles l’entreprise est régulièrement confrontée. Il est toujours malsain d’être entouré de « yes-men ».

 

 

Françoise Gri,

 

P-DG du groupe Pierre & Vacances CenterParcs, ancienne présidente de ManpowerGroup France et Europe du Sud et ex-P-DG d’IBM France. Membre du comité d’éthique du Medef.

 

La solitude du chef dépend essentiellement de la façon dont le chef travaille. Pour ma part, je travaille beaucoup avec mon équipe de proches collaborateurs. Ceux-ci sont en quelque sorte  mes frères d’armes. (…) Lorsque l’un d’eux n’est pas d’accord avec moi, il est toujours encouragé à développer ses arguments. Cette collaboration étroite m’est totalement indispensable. (…) Le leadership participatif est une forme de gouvernance où le dirigeant implique au maximum ses collaborateurs dans les décisions. En agissant ainsi, il envoie plusieurs messages clairs à son entourage. D’abord, il reconnaît ouvertement qu’il n’est pas infaillible. (…) Ensuite, il montre qu’il est mesuré dans la prise de risque, car les décisions collectives sont plus rarement émotives ou déraisonnables. Néanmoins, il y a toujours quelques décisions stratégiques pour lesquelles le dirigeant d’entreprise est le seul, en dernier ressort, à pouvoir trancher. Pendant ces moments-là, celui-ci peut ressentir une forme de solitude. En fait, il ne s’agit pas vraiment de solitude, mais d’une forme de liberté d’agir et d’assumer ses responsabilités.

 

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