Par Rémi Dupiré, avocat associé. Dupiré & Associés
La crise économique sans précédent à laquelle nous sommes confrontés depuis 2008 a inévitablement fragilisé la position des entreprises françaises. À ces difficultés « conjoncturelles », s’ajoute la nécessité pour les groupes de sociétés d’évoluer sur un marché international fonctionnant selon des règles et impératifs parfois très éloignés de nos préoccupations européennes.

Les pays dits «?en voie de développement?» bénéficient d’une main-d’œuvre à bon prix et désirent maximiser leur développement économique, parfois au mépris d’un droit «?humain?» du travail. Ces pays prônent le libéralisme et minimisent les contraintes normatives, qui risqueraient de limiter, voire de faire disparaître, leur compétitivité aux yeux des entreprises. Niveaux de rémunération, charges et impôts, temps et conditions de travail permettent ainsi aux entreprises qui y sont implantées de bénéficier de coûts de production très inférieurs à ceux pratiqués en France, et plus généralement dans tout pays industrialisé. Face à une telle concurrence, il est bien difficile pour les sociétés transnationales, exerçant leur activité sur un marché mondial en pleine expansion, de rester compétitives.

Restructurer n’a jamais été aussi complexe. Pourquoi ?
Restructurer n’a jamais été aussi complexe qu’aujourd’hui, d’une part en raison du contexte politique et social actuel : au-delà d’une volonté légitime, pour le gouvernement, d’éviter toute forme de délocalisation aux fins de préserver notre économie future, l’urgence de la crise impose à notre État de se réorganiser lui-même et rapidement. Notre système social est aujourd’hui en danger. L’administration s’avère, dès lors, extrêmement réticente à la mise en œuvre de toute réorganisation susceptible de se traduire par des licenciements économiques qui viendraient encore accroître le nombre des demandeurs d’emplois et majorer les charges pesant sur l’État, confronté à un déficit social sans précédent. Restructurer n’a jamais été aussi complexe d’autre part, en raison de l’évolution (voire de la remise en cause ?) de la notion de «?sauvegarde de la compétitivité?», longtemps perçue par les employeurs et leurs conseils comme un moyen efficace de contourner les dispositions légales figurant à l’article L. 1233-3 du Code du travail. D’un point de vue strictement juridique, la restructuration doit, en effet, reposer sur des «?difficultés économiques ou des mutations technologiques?». Dès lors, un employeur ne peut, théoriquement, procéder à des licenciements faisant suite à une réorganisation qu’après avoir justifié d’une situation financière critique. Dans les faits, pourtant, ces dispositions ont rapidement atteint leurs limites, se révélant finalement profondément «?injustes?» pour les salariés. Elles autorisent, en effet, la mise en œuvre de licenciements au regard de la seule situation comptable d’une entreprise, sans tenir compte des moyens du groupe auquel elle appartient. Elles contraignent, en outre, l’employeur à ne licencier qu’en période «?de crise?», au moment même où il ne dispose pas des capitaux nécessaires et suffisants pour permettre le financement adéquat des mesures visant à permettre le reclassement, la formation ou l’adaptation des salariés concernés par une suppression de leur poste. Ce faisant, ces dispositions légales contreviennent à la logique même du plan de sauvegarde pour l’emploi, dont l’objectif reste de favoriser la «?réinsertion?» professionnelle des salariés «?licenciés?». C’est notamment pour répondre à la problématique ainsi posée que la Chambre sociale de la Cour de cassation s’est attachée à étendre et à préciser la notion de «?motif économique?», telle que définie à l’article L. 1233-3 précité. Les juges du droit ont alors introduit la notion «?de sauvegarde de compétitivité?», permettant ainsi aux sociétés d’anticiper des problématiques économiques futures en procédant à des restructurations alors même que leur situation financière n’est pas encore obérée. Au cours de ces dernières années, les licenciements collectifs reposant sur cette notion se sont multipliés. Mais comme toujours, les excès ont nui au système. Ainsi, la jurisprudence a, au cours des derniers mois, violemment sanctionné ces «?abus?». Les suspensions et annulations de plans de sauvegarde de l’emploi – puis du projet économique dans son ensemble – se sont multipliées. Les conséquences économiques et financières qui en découlent pour les groupes et sociétés concernés sont lourdes : paralysie totale en matière d’investissements, coûts de procédure exorbitants, condamnations pécuniaires lourdes…

La notion de sauvegarde de compétitivité en pleine mutation
La notion de sauvegarde de compétitivité – dans sa logique même – est d’ailleurs en pleine mutation : elle ne saurait aujourd’hui de facto autoriser suppressions de postes et licenciements. Toute une partie de la jurisprudence développée par la Chambre sociale de la Cour de cassation vise, en effet, à rappeler qu’il n’existe aucun lien direct entre ces deux notions. Il est ainsi admis qu’un groupe justifiant d’une situation financière pérenne puisse assurer le maintien de sa compétitivité au prix de mesures «?positives?» sans impact sur l’emploi. À tout le moins, des suppressions de postes peuvent être envisagées, mais sans qu’elles se traduisent forcément par des licenciements. Un groupe «?prospère?», s’adaptant à l’évolution de son marché, pourra dès lors envisager le reclassement interne des salariés concernés. Autrement dit, la simple démonstration d’une nécessité «?économique?» de restructurer est aujourd’hui inopérante. Le motif à l’origine de l’opération doit, plus que jamais, être juridiquement étayé puisqu’il est susceptible d’autoriser la suspension, voire l’annulation, de l’ensemble du process d’information/consultation en cours. À cette problématique juridique s’en ajoutent d’autres rendant toujours plus complexe l’opération : définition du secteur d’activité, détermination des entreprises au sein desquelles s’apprécie la motivation économique et s’organise la mise en œuvre de la procédure… Relevons, par ailleurs, le développement d’une jurisprudence visant à responsabiliser la direction des groupes de sociétés (et ses actionnaires) afin de faire porter les conséquences financières de l’opération aux véritables décisionnaires (via les notions de co-emploi, de responsabilité délictuelle, d’ingérence ou d’accords atypiques).
À tout cela s’ajoute encore l’impérative obligation pour l’employeur de concilier les règles de droit français, communautaire et international… On comprendra, dès lors, pourquoi les restructurations d’entreprises peuvent être qualifiées au regard de la législation sociale d’opérations de haute volée juridique !


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