La représentativité des syndicats catégoriels après la loi du 20 août 2008
La loi du 20 août 2008 relative à la démocratie sociale et au temps de travail entraînera, dans les prochaines années, des transformations considérables du paysage syndical. Les organisations syndicales catégorielles n’échapperont pas à cette évolution, les nouvelles règles de la représentativité syndicale les plaçant dans une situation délicate.
La loi du 20 août 2008 a profondément modifié les règles de la représentativité syndicale. Celle-ci est désormais « ascendante » (elle se construit de la base vers le sommet), comme le confirme, de façon tout à fait significative, l’ordre dans lequel apparaissent dans le Code du travail les règles relatives aux différents niveaux de représentativité : entreprise ou établissement, groupe, branche et interprofession. Au niveau de l’entreprise, sont représentatifs les syndicats qui satisfont aux critères cumulatifs de l’article L. 2121-1 du Code du travail(1) et ont obtenu au moins 10% des suffrages exprimés lors du premier tour des dernières élections des titulaires du comité d’entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel (C. trav., art. L. 2122-1).
LE PRIVILEGE DES SYNDICATS AFFILIES A LA CFE-CGC
Toutefois, la loi n’a traité que très partiellement la question de la représentativité des syndicats catégoriels (c’est-à-dire des syndicats qui se donnent pour objet de défendre des salariés relevant de tout partie seulement des collèges électoraux).
En effet, seuls les syndicats catégoriels « affiliés à une confédération catégorielle nationale interprofessionnelle » voient leur représentativité appréciée à l’aune de leurs résultats électoraux dans les collèges auxquels appartiennent les catégories de salariés qu’ils ont vocation, de par leurs statuts, à représenter. C’est dans ces collèges que le seuil doit 10 % précité doit être atteint pour que le syndicat soit considéré représentatif dans l’entreprise (C. trav., art. L. 2122-2).
La lourdeur de la formule légale ne doit pas masquer la réalité : à ce jour, la seule « confédération catégorielle nationale interprofessionnelle » est la CFE-CGC. L’article L. 2122-2 instaure ainsi un véritable « privilège » (au sens étymologique de « loi privée »), au bénéfice de cette organisation. En effet, seuls les syndicats qui lui sont affiliés peuvent se voir appliquer les modalités particulières de l’article L. 2122-2 du Code du travail.
ENTRE LOGIQUE ELECTORALE ET VOCATION STATUTAIRE
On peut s’interroger sur la conformité de l’article L. 2122-2 au principe constitutionnel d’égalité. Cependant, quelle que soit l’issue de ce débat, force est de constater les syndicats catégoriels qui ne sont pas affiliés à la CFE-CGC ne relèvent quant à eux d’aucune disposition particulière. Il n’est dès lors guère d’autre solution possible que de leur appliquer la règle générale de l’article L. 2122-1 et de considérer qu’ils ne peuvent être représentatifs dans l’entreprise que s’ils obtiennent au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections des titulaires du comité d’entreprise.
L’article L. 2122-1 ne faisant aucune référence aux collèges électoraux, il semble que le seuil de 10 % s’apprécie tous collèges confondus(2). Un arrêt du 17 juin 2009 (rendu sur des faits antérieurs à la loi du 20 août 2008) a ainsi considéré que la représentativité d’un « syndicat catégoriel qui n'est pas affilié à une organisation syndicale nationale et interprofessionnelle reconnue représentative s’apprécie au regard de la situation globale de celui-ci dans l'entreprise ».
Pour un syndicat qui, par hypothèse, n’a vocation à représenter qu’une partie des salariés de l’entreprise (et donc à présenter des candidats dans certains collèges uniquement), obtenir au premier tour des élections professionnelles une audience de 10 % tous collèges confondus risque d’être délicat (sauf si les salariés visés par les statuts représentent une part substantielle des effectifs de l’entreprise… et des suffrages exprimés). En effet, l’influence ou le nombre d’adhérents du syndicat ne pourront pas compenser une audience électorale insuffisante, les nouveaux critères de représentativité de l’article L. 2121-1 étant cumulatifs.
Les syndicats catégoriels risquent ainsi d’être écartelés entre leur vocation statutaire et leurs légitimes préoccupations électorales…
Il serait dès lors tentant pour ces organisations de présenter au moins un candidat dans chaque collège afin de tenter d’acquérir la plus grande « superficie électorale » possible (peu important en définitive le nombre de ses élus).
Cependant, une telle stratégie ne serait pas exempte de toute critique si l’on considère que « les syndicats ont exclusivement pour objet la défense des intérêts matériels et moraux (…) des personnes visées par leurs statuts »(3). Comme toute personne morale, le syndicat ne peut en effet agir qu’à l’intérieur des limites qu’il s’est lui-même tracées. Un syndicat catégoriel a-t-il dès lors la faculté de présenter des candidats en dehors des collèges qu’il a choisis de défendre ?
Même si les décisions de la Cour de cassation dans lesquelles cette question a été abordée en ces termes sont rares, il semble que les magistrats fassent preuve d’une certaine souplesse en la matière. Ainsi, un syndicat peut présenter une liste dans le collège ouvriers dès lors que « si, selon [les] statuts, il se serait agi d’un syndicat catégoriel de cadres et techniciens, il n’en était pas ainsi en fait »(4). De même, un tribunal d’instance peut décider que les statuts d’un syndicat « rassemblant le personnel employé par les Télécommunications et leurs filiales (titulaires, stagiaires, auxiliaires contractuels) » a qualité pour « défendre les différentes catégories de salariés présentes dans l’entreprise »(5).
Il est toutefois probable, compte tenu des enjeux désormais attachés au premier tour des élections professionnelles, que les juges du fond seront amenés à examiner de nouveau cette question, décisive pour les syndicats catégoriels.
Le contentieux électoral a encore de beaux jours devant lui.
Juin 2010
1 Il s’agit notamment de l’indépendance, de l’influence, des effectifs d’adhérents et des cotisations.
2 Marie-Laure MORIN, Le guide des élections professionnelles, Dalloz 2009 ; G. BELIER et H.-J. LEGRAND, La négociation collective après la loi du 20 août 2008, Liaisons, 2009.
3 C. trav., L. 2131-1.
4 Cass. soc., 13 février 1980.
5 Cass. soc., 17 janvier 2001.