Le Printemps républicain est le croque-mitaine d’une partie de la gauche. Pourquoi ce mouvement finalement embryonnaire suscite-t-il autant de haine et d’attention ?
Printemps républicain, la menace fantôme
À la gauche de la gauche, on aime la pureté idéologique. Qui s’écarte de la doctrine officielle est aussitôt agoni d’injures sur les réseaux sociaux ou dans les cercles militants. "Social-traître", "macroniste", "vallsiste" ou "hollandiste" font partie des invectives en vogue. Mais le plus ignominieux est d’être assimilé à un membre du Printemps républicain. Le crime des "printistes" ? Se proclamer de gauche mais être d’extrême droite, rien de moins !
Le moment Bellanger
La rentrée littéraire a permis de remettre une pièce dans la machine. Dans Les derniers jours du parti socialiste, le romancier Aurélien Bellanger développe la thèse selon laquelle le PS aurait été tué moralement et électoralement par le Printemps républicain. Ce mouvement coupé du peuple mais composé de personnalités influentes aurait noyauté le PS, la grande administration et les principaux médias pour banaliser le racisme et l’islamophobie.
Face à ce scénario que l’on peut qualifier de complotiste, Aurélien Bellanger ménage la chèvre et le chou. S’il évoque le droit à la fiction et au romanesque de l’écrivain, il confirme que son ouvrage vise à "silencier" le Printemps républicain, vu comme la source de tous les maux de la France.
Réponse aux attentats de 2015
Pour ceux qui ne connaissent pas ou peu ce mouvement, une petite description s’impose. Fondé en 2016 pour formuler une réponse de gauche face au traumatisme causé par les attentats de 2015, le Printemps républicain est relativement récent dans la sphère publique. À la manœuvre, essentiellement des "seconds couteaux" du PS, des apparatchiks, des compagnons de route qui ne font pas partie des hautes sphères du parti à la rose. Leur théoricien principal Laurent Bouvet, décédé en 2021, est étrillé par Aurélien Bellanger dans son roman. Le reste des fondateurs n’avait guère de poids politique en 2016 : le préfet Gilles Clavreul, la maire du XXe arrondissement de Paris Frédérique Calendra, Bassem Asseh, adjoint à la mairie de Nantes, ou encore le jeune Amine El Khatmi qui prendra peu à peu la lumière puis la présidence du mouvement jusqu’en 2023.
Dans son manifeste, le Printemps républicain entend lutter "contre l’extrême droite et contre l’islam politique", accusés de "tenter de jouer avec les peurs et les tensions qui traversent la société française". Son objectif ? Promouvoir l’universalisme républicain se montrer intransigeant sur les questions de laïcité et combattre ce que Laurent Bouvet nomme "la tenaille identitaire". Parmi les principaux signataires, de nombreuses personnalités ne peuvent guère être accusées de rouler pour l’extrême droite : la journaliste Anne Sinclair, l’avocat Richard Malka, Élisabeth Badinter, Fleur Pellerin, Jérôme Guedj et même Olivier Faure !
Le mouvement peut également compter sur des figures médiatiques proches de ses thèses sans pour autant être encartées : Raphaël Enthoven, Caroline Fourest, Rachel Khan... Plus récemment, le journal Franc-Tireur s’est lancé dans l’arène médiatique avec une ligne éditoriale proche de ses thèses. De nombreux printistes y écrivent régulièrement.
Aucun grand élu ne se réclame du Printemps républicain
Un poids politique inexistant
Sur le papier, les débuts du Printemps républicain sont prometteurs. Mais force est de constater que l’aventure politique n’a pas pris la forme imaginée par ses fondateurs. Huit ans après sa création, le bilan interroge. Politiquement, aucun grand élu ne se réclame du mouvement, sa présidente actuelle Marika Bret (ancienne responsable RH de Charlie Hebdo) n’a guère de visibilité médiatique, les militants sont plus présents sur X que sur le terrain et, au sein du PS, leurs idées sont de plus en plus marginalisées. Lors de la présidentielle de 2022, le PR avait apporté son soutien à Emmanuel Macron, espérant en retour obtenir une dizaine de circonscriptions, promesse qui ne s’est jamais réalisée. En somme, le Printemps républicain ne joue pas un rôle clé dans la vie politique française. Mais il suscite une haine qui n’est pas proportionnelle à son poids réel. Pourquoi ?
Détester publiquement ce mouvement est une catharsis qui permet de mettre en avant sa pureté militante
Technique "Goldstein-Boule de neige"
Depuis 2017, la gauche est en pleine mutation. Sous l’égide de LFI, son corpus idéologique évolue et s’éloigne de plus en plus de l’universalisme et de la vision traditionnelle de la laïcité pour miser sur une lecture communautariste voire raciale de la société. Afin de conforter son hégémonie culturelle, elle doit se trouver un ennemi, désigner un diable absolu. Ce sera le Printemps républicain, vu comme la source de tous les problèmes quand bien même il n’est qu’embryonnaire.
Détester publiquement ce mouvement est une catharsis qui permet de mettre en relief sa propre pureté militante et son appartenance au camp du bien. Le procédé fait penser à l’œuvre de George Orwell, 1984, roman dans lequel les habitants d’Océania étaient chaque jour contraints d’exprimer "deux minutes de haine". La cible ? Un certain Emmanuel Goldstein, ancien proche de Big Brother, qui, bien qu’ayant disparu, aurait pris la tête d’une mystérieuse "Fraternité", qui se cacherait derrière tous les dysfonctionnements de la société. Pour éliminer ou stigmatiser un membre du parti unique, il suffisait de sous-entendre qu’il était proche de Goldstein.
Le Printemps républicain fait penser aux personnages orwelliens d'Emmanuel Goldstein et Boule de Neige. On fait croire qu'ils sont la source de tous les maux alors qu'ils ne pèsent rien
De même, dans La Ferme des animaux, le cochon Napoléon assoit son pouvoir en utilisant la peur du retour de son rival Boule de Neige qui a pourtant fui la ferme depuis longtemps. Certes, Jean-Luc Mélenchon n’est ni Napoléon ni Big Brother, mais la technique de l’ennemi imaginaire utilisée dans le but de faire avancer ses idées, d’excommunier les "mal-pensants" et de souder ses troupes a un air de déjà-vu.
Coût social
En réalité, ce ne sont pas les membres existants ou supposés du Printemps républicain qui sont principalement visés. Si ces derniers sont régulièrement accusés d’avoir recours à des campagnes de harcèlement ciblé sur les réseaux sociaux, leurs ennemis ne font pas non plus dans la dentelle.
L’objectif est surtout d’envoyer un message aux militants et responsables de gauche. En clair : "Si vous vous éloignez de nos positions, vous serez marqué du sceau « printiste », décrédibilisé et insulté". Le coût social d’une prise de position universaliste doit être le plus élevé possible pour que personne ne s’avise de contester la nouvelle ligne dans le débat public.
Bonne nouvelle pour les calomniateurs et les calomniés, l’heure est au renouvellement du stigmate. Depuis peu, la figure du mal absolu porte le nom de François Ruffin. Désormais, pour s’en prendre à un militant de gauche qui dévie de la stratégie officielle, mieux vaut le qualifier de "ruffiniste", c’est dans l’air du temps. En attendant une nouvelle mode qui ne saurait tarder à arriver…
Lucas Jakubowicz