Si le sport peut souvent être un reflet des fractures de notre société, de notre difficulté à ne pas nous ranger les uns les autres dans des cases, il peut aussi constituer un levier de réconciliation de notre pays estime dans cette tribune la philosophe Gabrielle Halpern.

À l’occasion des Jeux olympiques, le musée Marmottan Monet à Paris propose actuellement une exposition dédiée aux artistes et au sport. On peut en particulier y découvrir un magnifique tableau de Jean Metzinger représentant un coureur cycliste durant la course Paris-Roubaix. Sa spécificité est que la foule dans les tribunes et sa tête se confondent, comme si la foule était dans sa tête ou comme si sa tête était dans la foule. Quelle extraordinaire illustration de la capacité phénoménale du sport à relier le singulier et l’universel, l’individu et le collectif !

L’un des plus grands penseurs européens Elias Canetti écrivait que l’être humain redoute plus que tout au monde l’inconnu ; tous nos comportements sont déterminés par cette phobie du contact… Or, dans les événements sportifs, il y a cette possibilité de s’émanciper de cette peur et de rejoindre tout un collectif dont le cœur bat à l’unisson avec le sportif qui se met à le symboliser. Si le sport peut souvent être un reflet des fractures de notre société, de notre difficulté à ne pas nous ranger les uns les autres dans des cases - les femmes, les hommes, les seniors, les jeunes, les personnes en situation de handicap, etc. -, il peut aussi constituer un levier de réconciliation de notre pays. 

Notre société crève en effet des silos qui nous divisent, des étiquettes que nous passons nos vies à coller sur les uns et les autres, des cases où nous enfermons les autres et où nous nous enfermons. Nous avons passé des siècles à voir le monde d'une manière morcelée, cela a influé sur nos métiers, notre organisation du travail, nos industries, sur le développement de nos sciences, de nos formations, de nos politiques publiques, sur l’organisation de nos filières ou encore sur nos territoires... Il y a les jeunes, les seniors, les startupers, les sportifs, les artisans, les industriels, les agriculteurs, etc. On parle de "métiers manuels" et de "métiers intellectuels" ; de "cœur de ville", de "banlieue", de "ruralité". On divise le corps citoyen en morceaux et on crée des frontières absurdes et artificielles entre les mondes. Ce faisant, on renforce les fractures au sein de notre société. N’est-il pas temps de réconcilier les mondes ? N’est-il pas temps de créer des ponts entre les mondes et de les hybrider ?

Pourquoi ne pas construire des stades sous forme de tiers-lieux pouvant être à la fois des lieux de soin, des incubateurs, des résidences d'artistes et des écoles ?

Quitter l'entre-soi

Pour jouer ce rôle, les professionnels du sport, le monde du sport, vont devoir quitter leur entre-soi et s’instiller dans toutes les strates, dans toutes les brèches de notre société. Pourquoi ne pas construire des stades sous forme de tiers-lieux à même d’être à la fois des lieux de soin et de prévention de santé publique, des incubateurs de startups et d’artisanat, des résidences d’artistes et des écoles ? Pourquoi ne pas relier les réseaux de salles de gymnastique avec les réseaux de crèches pour permettre à ceux qui sont parents d’y avoir plus facilement accès ? Pourquoi ne pas inventer une nouvelle génération de maisons de retraite autour du sport, permettant à ces lieux de devenir des lieux de vie, d’apprentissage et de liens entre les générations ? Pourquoi les professeurs de sport et les professeurs de mathématiques ne travaillent-ils pas plus étroitement ensemble pour apprendre aux enfants à compter les pompes, à additionner les sauts et à multiplier les points ? Pourquoi les événements sportifs proposent-ils des burgers et des hot-dogs ? Ne serait-il pas temps d’hybrider le sport et l’agriculture locale, le sport et l’art culinaire français en réinventant l’alimentation de l’événementiel sportif ? 

Acteurs du sport, investisseurs, sportifs, professionnels du sport, à l’aune des Jeux Olympiques, votre responsabilité est immense : vous ne pouvez pas changer le monde, mais vous pourrez peut-être changer un tout petit peu la France, si vous apprenez à créer des ponts entre les mondes !

Gabrielle Halpern publiera le 18 septembre son prochain livre Créer des ponts entre les mondes – Une philosophe sur le terrain  (Fayard).

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