En début d’année, Nicolas Bouzou publiait un nouvel essai : La civilisation de la peur. Pour ce consultant en économie, essayiste et éditorialiste, certains biais cognitifs nous poussent à voir les choses de manière plus dramatique qu’elles ne le sont. Baisse du chômage, lutte contre le réchauffement climatique, amélioration de la santé … Sur certains points cruciaux, la France avance.

Décideurs. Dans votre livre, La civilisation de la peur, vous partez du constat que le débat public alimente le marché de la peur. De quoi s’agit-il ?

Nicolas Bouzou. L’homme est le produit de son évolution biologique. Depuis des dizaines de milliers d’années, notre peur nous protège. Cette peur était une protection réelle contre des dangers qui, aujourd’hui, s’avèrent marginaux : risque d’être assassiné par un congénère ou tué par un animal, risque de mourir de faim ou tué par une infection, etc. Si ce sentiment a une utilité, il convient de ne pas s’y laisser trop aller et de regarder les choses telles qu’elles sont vraiment. Le problème est que les médias répondent à cette demande d’inquiétude. La fiction l’alimente également. Il suffit de voir le nombre de séries et documentaires centrés sur des affaires criminelles pour comprendre à quel point ces thématiques répondent à ce besoin inconscient.

Il y a néanmoins bien des problèmes : insécurité, baisse du niveau scolaire, réchauffement climatique…

Je ne dis pas que cette vision du monde est radicalement fausse, je dis qu’elle est biaisée et que nous surestimons le danger. Par exemple, il existe de l’insécurité mais la peur de celle-ci est alimentée par le populisme. Les extrêmes ont identifié ce malaise, jouent dessus et cela fonctionne. Lorsque vous suggérez, chiffres à l’appui, sur un plateau de télévision que les entreprises créent des emplois, les gens vous rétorquent que vous êtes à la solde du gouvernement et se demandent pourquoi vous leur mentez. Alors que si vous dites que la France est dirigée par des fascistes, le public va se dire que vous êtes lucide et que vous voyez des choses que les autres n’arrivent pas à voir. Annoncer le déclin donne l’air intelligent. Mais les analyses des catastrophistes ont toujours été infirmées a posteriori dans l’Histoire.

Alors que peu de gens se montrent optimistes quant à la capacité des humains à empêcher l’effondrement écologique, vous écrivez que cela est possible. Pourquoi ?

Les émissions de carbone des pays développés sont retombées à leur niveau des années 1970, 95 % des centrales à charbon ont une date de fermeture programmée… Il n’est pas vrai d’affirmer que l’on ne fait rien, que nos actions sont inefficaces et que l’on va droit dans le mur. On peut dire que nous n’allons pas assez vite. Mais c’est un sophisme car on ne va jamais assez vite. Le narratif politique sur la question est très important. Si vous expliquez aux gens que leurs efforts ne servent à rien ou qu’il faudrait changer complètement la société, vous allez les rendre climatosceptiques. Pour embarquer les citoyens sur le sujet, il faut les encourager et donner les chiffres qui montrent les résultats obtenus.

"Nous ne devons pas sous-estimer notre capacité à régler les problèmes"

Vous érigez en exemple la sortie de crise du Covid-19 qui, selon vous, a été très bien gérée. Pour vous, l’humanité doit en tirer des leçons ?

Cette crise a été un moment charnière. Même si des choses auraient pu être faites différemment, que la santé mentale des jeunes a souffert, etc. Les pays ont protégé les plus faibles quitte à faire grimper leur dette. La société n’est pas aussi matérialiste que ce que l’on veut bien faire croire. Les économies ont finalement été pas mal sauvegardées. Avec le recul, on n’a pas de honte à avoir sur la manière dont on a fait face.

Comment résister aux peurs irrationnelles ?

Le fond du sujet, c’est la façon dont nous consommons l’information. On peut toujours médire des chaînes d’informations en continu car elles parlent de guerres et d’insécurité, ou critiquer les algorithmes des réseaux sociaux construits pour propager rapidement les mauvaises nouvelles, mais tout cela existe parce qu’il y a une demande. Il faut apprendre à se déconnecter des réseaux sociaux et à ne pas rester à longueur de journée devant les chaînes d’info. On peut lire la presse écrite ou un livre de temps en temps. Il y a aussi une urgence à former les plus jeunes notamment pour les aider à débusquer les fake news. Pendant la pandémie, je me suis dit très tôt que l’hydrochloroquine n’était pas efficace contre le Covid. Non parce que j’ai des connaissances sur le sujet mais parce que la méthode du professeur Raoult était caractéristique de la manière dont sont conçues les fake news : arguments d’autorité, affirmer qu’on nous cache la vérité ou refus de suivre les méthodologies standards.

Vous estimez que l’un des meilleurs remèdes à l’angoisse est l’action. Pourquoi ?

Il y a une crise de l’engagement dans notre pays. Examinez les discours sur l’écologie. Qui tient des propos alarmistes et qui se montre davantage optimiste ? Les personnes qui travaillent sur des solutions pour faire des économies d’énergie ne sont pas dans la dépression. Contrairement aux animaux qui subissent leur environnement, l’humain est capable d’agir pour limiter le réchauffement climatique, faire reculer l’analphabétisation ou guérir des cancers. Nous ne devons pas sous-estimer notre capacité à régler les problèmes. Il n’y a pas de fatalité.

Propos recueillis par Olivia Vignaud

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