L’avocat fondateur du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure (CRSI) revient sur la place du régalien dans les discours politiques. Il pointe notamment un fossé entre les déclarations publiques et les réalisations concrètes. Un hiatus qui, selon lui, fait peser une menace sur la démocratie.

Décideurs Magazine. Quelle idée principale défend le CRSI ?

Thibault de Montbrial. Depuis sa création en 2015, le CRSI garde la même conviction : pour durer, une démocratie doit protéger le peuple. Si elle échoue, le pacte social est brisé et les citoyens auront tendance à vouloir se défendre puis à se faire justice à eux-mêmes. Avec ce scénario, le risque est de voir des forces parallèles monter en puissance, ce qui commence à être le cas par exemple avec les cercles de protection de commerçants, de voisins ou la montée en puissance des mafias. Ces dernières disposent désormais d’un arsenal non négligeable voire de ramifications au sein de la justice, de l’administration et du pouvoir politique.

Votre think tank se veut donc apolitique ?

Oui. Il suffit de jeter un œil aux membres de notre comité stratégique pour s’en rendre compte. Certains sont étiquetés à droite comme Patrick Stefanini (notamment ancien directeur de campagne de François Fillon et Valérie Pécresse, ndlr), Marie-Hélène Thoraval, maire LR de Romans-sur-Isère. Nous comptons aussi l’ancienne députée LREM Alice Thourot ou encore l’universitaire Frédéric Encel, classé à gauche. Parmi les membres, il y a également des intellectuels comme la sociologue Florence Bergeaud-Blackler ou l’écrivain Boualem Sansal. Nos travaux s’adressent à toutes les forces politiques. Nous avons participé à l’élaboration du livre blanc sur la sécurité intérieure de 2020 et les députés de tous les groupes parlementaires ont pu avoir accès à nos travaux.

Il existe un cliché selon lequel la gauche est naïve et manque de fermeté sur les questions régaliennes. Est-ce vrai ?

Tout dépend de quelle gauche il s’agit. Celle de gouvernement a le sens de l’État. Le CRSI a par exemple parfaitement travaillé avec Bernard Cazeneuve qui a repris certaines de nos propositions comme l’acquisition par la police de fusils d’assaut ou de casques balistiques, ou encore l’extension des prérogatives de la BAC pour riposter en cas d’attaque terroriste. De même, lors de mes déplacements dans les petites et moyennes communes, je ne remarque pas forcément de clivage entre un maire de gauche ou de droite sur la question du maintien de l’ordre. En somme, le régalien n’est ni de droite ni de gauche.

Il est vrai que, durant les campagnes électorales et lorsqu’elle est dans l’opposition, la gauche tend à avoir une approche plus angélique, mais l’exercice du pouvoir ouvre les yeux. Notons toutefois que, depuis 2017, la gauche devient muette sur le régalien. Désormais, notamment depuis 2022, elle se déporte vers plus de radicalité, prend des positions qui n’étaient pas dans sa culture, souvenons-nous du slogan "La police tue". Cela dit, les problèmes d’insécurité en France sont le fruit de tous les partis qui ont exercé le pouvoir depuis des décennies.

"Le décalage entre la parole et les actes a un impact sur la démocratie car il démonétise la parole publique"

Pourtant, depuis les années 1990, les questions sécuritaires sont toujours évoquées dans les campagnes électorales et il y a souvent une course à la fermeté. Les discours martiaux se répètent, la situation change peu. Pourquoi ?

Il existe toujours une réticence à sortir d’un schéma datant des années 1970 qui consiste à penser que les solutions et les responsabilités relèvent de la société elle-même et non de l’individu. On peut également observer une peur d’être jugé négativement par une partie des médias ou des ONG, quand bien même cela va à l’encontre de l’opinion publique. Ce qui est cocasse, c’est de constater un fossé entre ce que disent certains dirigeants politiques entre quatre murs (c’est souvent très ferme) et la réalité des politiques menées.

Est-ce un danger pour la démocratie ?

Ce décalage entre la parole et les actes a un impact sur la démocratie car il démonétise la parole publique, laisse chez les électeurs un sentiment d’éloignement, de trahison. Il suffit d’interroger nos concitoyens pour réaliser que certaines phrases reviennent souvent : "Les paroles ne sont jamais traduites en actes", "À Paris, on ne se rend pas compte…". Toutefois, les questions liées à la sécurité et à l’immigration ne sont pas les seules en cause. Le non-respect du résultat du référendum établissant une constitution pour l’Europe en 2005 a entraîné une vraie cassure.

Quel conseil donneriez-vous aux responsables politiques ?

Tout simplement de faire preuve de courage, de ne pas avoir peur d’appliquer la loi et de prendre des mesures qui sont partagées par la majorité des Français. Gabriel Attal parle de choc d’autorité. Il a compris les enjeux mais, il est enfin temps d’agir, lister une dizaine de mesures et les appliquer vraiment.

Propos recueillis par Lucas Jakubowicz

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