Le travail de conseiller à l'Élysée et Matignon suscite bien des fantasmes mais qu'en est-il vraiment ? Réponse avec Julia Clavel, conseillère PME, consommation, concurrence, tourisme, économie responsable, régulation du numérique du président de la République et de la Première ministre, qui revient sur le quotidien d'un métier pas comme les autres.
Julia Clavel (Élysée et Matignon) : "Mon travail consiste à apporter de la hauteur de vue et un regard politique"
Décideurs. En quoi consiste votre fonction ?
Julia Clavel. Le rôle de conseiller partagé entre l’Élysée et Matignon se divise en trois parties, avec d’un côté des notes d’information pour le Président et la Première ministre, permettant de faire des recommandations ou remonter des sujets. Une autre partie consiste à animer l’interministériel et à prendre des arbitrages. Les réunions techniques réunissent tous les ministères concernés par un sujet et sont présidées par un conseiller de Matignon. On voit ce qui est faisable, souhaitable et politiquement acceptable et, à la fin, on arbitre. Cet arbitrage se manifeste par un "bleu" qui vaut pour décision de Matignon. Enfin, il y a un rôle de coordination et de suivi des dossiers. Par ailleurs, on rencontre beaucoup de personnes de l’extérieur pour nourrir notre réflexion. Par exemple, je viens d’avoir rendez-vous avec les fédérations de commerces au sujet des dégradations que le secteur a subies dans le cadre des récentes émeutes. C’est un métier passionnant qui demande une vraie gymnastique intellectuelle.
Certains conseillers sont assez jeunes. Or leurs décisions impactent la vie du pays. Comment expliquer la confiance qui leur est donnée ?
L’âge ne fait pas tout et il y a des conseillers de toutes les générations. Ensuite, nous sommes très accompagnés. Même si à la fin nous disposons du pouvoir décisionnel, ces décisions ont été vues par les différents chefs de bureau et directeurs de cabinets concernés. La compétence, l’administration l’a pleinement et elle dispose d’un historique sur les différents sujets. Notre travail consiste aussi à apporter une vision globale, un regard politique et à challenger les sujets qui nous remontent. Par ailleurs, la confection d’une loi, quand on part de zéro, c’est environ un an d’allers et retours. L’itération protège beaucoup des couacs.
Pourriez-vous nous parler d’un dossier sur lequel vous êtes intervenue ?
J’ai un portefeuille assez large. J’ai travaillé sur l’ajustement des mesures de soutien à l’économie pendant le Covid. Je me suis aussi penchée sur l’inflation alimentaire, problématique pour laquelle nous avons réuni autour de la table les acteurs du secteur afin de faire baisser les prix en demandant que chacun prenne sa part en fonction des réalités économiques. Si tout le monde ne s’était pas montré raisonnable, nous avions la possibilité d’utiliser l’arsenal fiscal ou législatif.
"On voit ce qui est faisable, souhaitable et politiquement acceptable et, à la fin, on arbitre"
Vous êtes actuellement à la manœuvre sur le projet de loi visant à sécuriser et réguler l’espace numérique. Pouvez-vous nous en parler ?
Ce texte a pour but de transposer les règlements européens DSA (services numériques) et DMA (marchés numériques) mais a aussi vocation à aller plus loin. La France souhaite mieux faire en matière de protection de l’enfance en ligne, notamment grâce à la lutte contre la pornographie avec la vérification de l’âge sur les sites porno, certes déjà obligatoire, mais qui dans les faits ne s’avère pas effective. C’est un sujet cher au Président et à la Première ministre. Nous voulons aussi renforcer la loi notamment avec le filtre anti-arnaque pour lutter contre par exemple contre le vol de données. Bercy a écrit un texte sous l’égide de Jean-Noël Barrot. Nous avons mené une dizaine de Rim (réunions interministérielles) sur le sujet avant qu’il soit envoyé au Conseil d’État, puis passe à nouveau par des Rim en vue de sa présentation en Conseil des Ministres puis devant le Parlement. Là encore, je vais intervenir entre les différents temps parlementaires.
De quoi votre avenir pourrait-il être fait ? Pourriez-vous viser un métier davantage public ?
Je fais un métier qui s’exerce dans l’ombre. Personne ne s’intéresse à ma vie privée et ça me va bien. J’aime servir l’État mais j’aurai sûrement vocation à revenir à un moment de ma carrière dans le privé. On gagne beaucoup dans sa réflexion à voir un peu des deux mondes. Ce que je fais aujourd’hui est nourri par mon expérience en entreprise et inversement. Je ne suis pas haut fonctionnaire mais j’ai une passion pour l’État et la chose publique. Les prochaines années seront une histoire de rencontres et d’opportunités.
Propos recueillis par Olivia Vignaud