Autrefois piliers de l’Assemblée nationale, les avocats sont de moins en moins nombreux à siéger. Ils restent toutefois influents, notamment au centre et à droite.

Entre les avocats et l’Assemblée nationale, c’est une longue histoire d’amour. Léon Gambetta, Aristide Briand, Raymond Poincaré, Pierre Waldeck-Rousseau, Pierre Mendès-France, François Mitterrand, Nicolas Sarkozy… Tous ont porté la robe avant de se faire élire députés et de mener une carrière politique de premier plan. "Si les avocats sont aussi nombreux à occuper des postes de ministres, de président du Conseil ou encore de président de la République, c’est tout simplement parce qu’ils sont traditionnellement surreprésentés à l’Assemblée nationale", indique Christophe Bellon, universitaire et spécialiste de l’histoire parlementaire. D’après lui, "certaines législatures à la fin du XIXe siècle ont compté jusqu’à 25 % d’avocats".

La République du barreau

Lorsque la IIIe République a été proclamée en 1870, les notables ont occupé une grande partie des sièges. Dotés d’un fort ancrage local, d’une éducation poussée et d’une conscience républicaine développée, médecins, notaires et surtout avocats ont donné le la à la vie politique. "Le fonctionnement de la mécanique parlementaire sous les IIIe et IVe Républiques a permis à ces professionnels du droit de donner la pleine mesure de leur talent rhétorique", estime Jean-Louis Thiériot, avocat en droit public et député LR de la troisième circonscription de Seine-et-Marne. À cette époque, débats contradictoires, votes de confiance, plaidoiries sur les bancs de l’hémicycle sont au cœur de l’activité d’élu de la Nation et ont favorisé les membres du barreau qui ont pu "faire fructifier leur éducation basée sur les humanités et la maîtrise de la parole publique". Une période dorée qui prend fin sous la Ve République, régime dans lequel les avocats semblent peu à peu perdre de leur aura.

Baisse d’influence ?

Le déclin s’est effectué en plusieurs temps. Les gaullistes ont introduit de nombreux anciens résistants, la majorité giscardienne a promu une nouvelle génération de hauts fonctionnaires tandis que socialistes et communistes se sont reposés sur les enseignants. La vague macroniste, quant à elle, a mis à l’honneur la fameuse "société civile", constituée en majorité de cadres du secteur privé (consultants, DRH, entrepreneurs…).

À partir de 1958, sous l’effet de l’ENA, des grands corps d’État et des plans de centralisation puis de décentralisation, de l’application du droit communautaire, le métier est devenu de plus en plus technique, voire technocratique. Désormais, pour être un bon parlementaire, il ne suffit plus d’être un brillant orateur ; il est nécessaire de posséder des compétences précises. "En somme, on ne s’exprime plus avec des effets de manche comme dans les Républiques précédentes", résume Jean-Louis Thiériot pour qui ce changement de mentalité touche également le secteur du droit : "Les avocats plaident de moins en moins, à part les pénalistes, ce sont les connaissances techniques qui priment. Comme à l’Assemblée nationale ! Passer d’un tribunal administratif à une commission parlementaire n’est donc pas si dépaysant…".

L’évolution des mœurs et des méthodes de travail n’a toutefois pas eu raison des avocats qui restent l’une des professions les plus représentées à l’Assemblée nationale. L’actuelle législature en recense 36, soit cinq de plus que la précédente.

"On ne s'exprime plus avec des effets de manche comme dans les Républiques précédentes"

Le RN, premier pourvoyeur de députés

La hausse du nombre d’avocats est en grande partie liée à la vague lepéniste. Au sein du groupe RN, 9 députés sur 88 sont inscrits à un barreau, soit 10 % des effectifs (contre 6 % pour le total des membres du Palais-Bourbon). Leur bonne connaissance des institutions a pu contribuer au faible nombre de "bourdes" du groupe d’extrême droite cornaqué par Marine Le Pen, elle-même avocate de formation.

En proportion, LR compte 7 députés sur 62 soit 11 % du groupe. La droite "Macron compatible" représentée par Horizons accueille un petit contingent de 3 députés sur 22, soit 10 % du total. Parmi eux, Naïma Moutchou, vice-présidente de l’Assemblée nationale présidée par une consœur macroniste "pur jus", Yaël Braun-Pivet. Les 170 membres du groupe Renaissance ne comptent que 9 avocats dans leurs rangs dont la plupart ont été élus en 2022 : Émilie Chandler dans le Val-d’Oise, Éléonore Caroit dans la zone Amérique latine et Caraïbes, Philippe Guillemard en Meurthe-et-Moselle… En revanche, le déclin est réel puisqu’ils étaient 17 lors de la précédente législature.

L'Assemblée nationale compte 36 avocats, soit 6% des effectifs. Ils sont 9 au RN 

Peu d'avocats de gauche

La Nupes fait considérablement baisser la moyenne du nombre d’avocats qui se comptent littéralement sur les doigts d’une main. Si les communistes sont deux, chez les Insoumis, Raquel Garrido est bien seule. Il en est de même pour Julien Bayou chez EELV. Enfin, notons que les socialistes sont le seul groupe sans avocats. Une grande première dans l’histoire du parti à la rose.

Un rôle précieux

À l’Assemblée nationale, une tradition se perd : celle des grands pénalistes, des professionnels de l’éloquence, de l’improvisation. Le dernier représentant de l’espèce, Gilbert Collard, ancien socialiste devenu député frontiste du Gard en 2012, réélu d’une courte tête en 2017, siège désormais au Parlement européen. Il restera peut-être comme le dernier avocat médiatique à exercer comme député. "Pour un pénaliste de renom comme Dupont-Moretti, il n’y a pas d’avantages à devenir député", avance Jean-Louis Thiériot, qui pointe notamment "une vie matérielle et personnelle beaucoup moins avantageuse". Et peut-être, un rôle social moins important…

"Pour un pénaliste de renom, il n y a pas d'avantages à être député"

Malgré tout, la corporation continue à jouer un rôle précieux dans les groupes parlementaires, surtout dans l’actuelle législature qui se caractérise par un grand nombre de députés néophytes dans tous les partis. "Dans un groupe relativement inexpérimenté comme LREM en 2017, le fait de compter 17 avocats a été un plus", estime Christophe Bellon. "Connaisseurs du fonctionnement des institutions, ils ont été plus vite opérationnels que les autres et ont pu aider leurs pairs", observe l’universitaire qui souligne le rôle "formateur" des députés avocats. Un rôle assumé par Jean-Louis Thiériot qui prend plaisir à expliquer à ses collègues des notions juridiques parfois mal employées telles que l’État de droit.

Le député de Seine-et-Marne reconnaît également deux autres qualités à ses pairs : "Nous raisonnons de la manière suivante face à un dossier : quel est l’objectif ? Le droit permet-il de l’atteindre ?". Une manière de penser différente et complémentaire des autres professions telles que les médecins ou encore les cadres du secteur privé. Jean-Louis Thiériot note également que les avocats sont polyvalents et peuvent se spécialiser sur une grande diversité de sujets.

Un lobby des avocats ?

Aussi ne sont-ils pas rassemblés autour de la défense d’un intérêt commun. Il n’y a donc pas de "lobbys" à l’Assemblée nationale. "La solidarité fonctionne surtout sur une base locale", estime Jean-Louis Thiériot. Si les médecins, les membres du Conseil d’État ou les chefs d’entreprise peuvent être amenés à faire preuve de solidarité sur certains sujets, ce n’est pas le cas des avocats. Le récent projet de réforme en est la preuve. L’appartenance partisane a pris le pas sur la vocation initiale…

Lucas Jakubowicz

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