Contestée par un nombre croissant d’élèves, la laïcité est plus que jamais menacée dans l’enseignement public. Depuis deux ans, la situation se dégrade, comme si la mort de Samuel Paty n’avait servi à rien.

Il paraît que la décapitation de Samuel Paty était une rupture. Après ce drame, promis juré, pouvoirs publics et directions d’établissements se montreraient intransigeants sur les questions de laïcité et ne céderaient plus rien aux revendications communautaristes. Qu’en est-il vraiment ? Osons dire les choses clairement, la situation empire. Non seulement les enseignants se censurent de plus en plus et voient leurs cours contestés. Mais, pire encore, une frange croissante de professeurs, notamment les plus jeunes, s’accommodent de l’offensive religieuse qui bat son plein dans les collèges et les lycées de l’Hexagone.

L’étude « Les enseignants face à l’expression du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité » publiée par l’Ifop le 9 décembre révèle que les collèges et les lycées constituent des proies de choix pour les bigots qui avancent peu à peu leurs pions. Des résultats démoralisants qui expliquent sans doute la faible couverture des résultats.

Une autocensure…

Le décès de Samuel Paty n’a pas créé de sursaut chez les enseignants. D’une certaine manière, les islamistes ont gagné par la terreur puisque, désormais, le corps enseignant se censure. Plus de la moitié des professeurs du secondaire (56 %) se sont déjà autocensurés durant leurs cours afin de ne froisser personne et d’éviter un incident au sujet de la religion. Une hausse de 20 points en quatre ans. Dans les collèges et lycées classés REP, le taux est plus élevé encore : 68 %.

… inutile

Comment jeter la pierre aux fonctionnaires qui "courbent l’échine" pour "acheter la paix sociale" ? Leur quotidien est littéralement envahi d’injonctions liées à la morale religieuse. Sur les deux dernières années, un tiers des enseignants du secteur public ont observé de la part d’élèves des contestations au nom de la religion à propos de la mixité filles-garçons, lors de cours dédiés à l’égalité hommes-femmes ou sur des sujets abordant l’Histoire et la géographie. L’utilisation de la religion pour contester la pédagogie est deux fois plus importante dans les établissements classés REP (56 %).

 

REP : bastions des attaques contre la laïcité

Si les attaques contre le modèle universaliste et républicain se diffusent sur l’ensemble du territoire, la situation est alarmante dans les collèges et les lycées classés REP, généralement implantés dans les "quartiers sensibles" des grandes villes, où les élèves développent une conception de la vie en société différente des jeunes de la même génération. Quelques exemples révélés par l’étude Ifop laissent augurer un futur conflictuel : 37 % des enseignants ont été confrontés à du prosélytisme religieux dans l’enceinte des établissements, 31 % à des situations où des élèves ont fait chanter des jeunes filles s’étant dévoilées dans l’enceinte d’un collège ou d’un lycée, 32 % à l’organisation des tables des cantines en fonction de l’appartenance religieuse. Autres chiffres marquants, 44 % des enseignants ont été témoins d’élèves refusant d’entrer dans des lieux religieux lors de sorties scolaires. Les lois contre le séparatisme ou les injonctions au vivre ensemble semblent résonner dans le vide.

Bongraf

Loi du silence et capitulation

Face à cette situation conflictuelle, les enseignants semblent de plus en plus adeptes du pas de vagues. Ainsi, 40 % d’entre eux n’ont pas rendu hommage à Samuel Paty. Dans les établissements classés REP, ils sont même une majorité (52 %).à avoir opté pour le silence. Parmi les "valeureux" enseignants, 2 enseignants sur 10 ont observé au moins une contestation, le taux s’élevant même à 42 % dans les établissements classés REP.

La question du port d’abayas et de kamis est un exemple révélateur. 27 % du corps enseignant ont déjà constaté le port de ces habits religieux sur leur lieu de travail. Mais ils sont 44 % à ne rien signaler à l’élève ou à l’administration. En somme de nombreux profs subissent. Mais d’autres soutiennent les revendications communautaristes de leurs élèves. Les plus jeunes ou les sympathisants de LFI sont surreprésentés parmi eux.

Paty

La laïcité attaquée par ses défenseurs

Ainsi, si 15 % des professeurs estiment que les kamis et les abayas ont leur place dans l’enceinte des collèges et des lycées, la proportion s’élève à 27 % chez les sympathisants LFI et 21 % chez les sympathisants verts contre 7 % pour ceux se définissant comme politiquement proches de Renaissance.

Si les professeurs les plus âgés sont dans leur immense majorité favorables à une laïcité "traditionnelle", ce n’est pas le cas des nouveaux entrants

En matière d’âge, un clivage apparaît. Si les professeurs les plus âgés sont dans leur immense majorité favorables à une laïcité « traditionnelle », ce n’est pas le cas des nouveaux entrants. 51 % des professeurs de moins de 30 ans sont d’accord pour « autoriser les parents accompagnateurs à porter des signes religieux ostentatoires », soit une proportion deux fois plus élevée que la moyenne globale. De même, un tiers de la relève de l’Éducation nationale est favorable au port de couvre-chefs à caractère religieux tels que le voile pour les élèves, mais aussi pour les fonctionnaires. Plus globalement, les jeunes enseignants sont 64 % à s’autocensurer contre 47 % chez les plus de 50 ans.

Ce sondage apporte une preuve supplémentaire de la crise que traverse l’Éducation nationale qui, outre un communautarisme croissant, est confrontée à une baisse de niveau des élèves, des enseignants ainsi qu’à une crise de recrutement.

Lucas Jakubowicz

Méthodologie

L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 1 009 enseignants, représentatif des enseignants des 1er (élémentaire) et 2e degrés en France métropolitaine.
La représentativité de l’échantillon a été assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, degré, secteur (public / privé) après stratification par académie. Ces quotas ont été fixés à partir de l’enquête Repères et références statistiques (RERS) du ministère de l’Éducation nationale 2022
Les interviews ont été réalisées par questionnaire auto-administré en ligne du 25 octobre au 7 novembre 2022.

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