Spécialistes de la tech, de la finance, médecins, universitaires, investisseurs, étudiants… Depuis le début de la guerre en Ukraine, la Russie est confrontée à une fuite des cerveaux. Une épine dans le pied pour le régime de Vladimir Poutine.

"La Russie est un rébus enveloppé de mystère au sein d’une énigme", disait Winston Churchill. En 2022, la citation est toujours d’actualité et il est difficile d’obtenir certaines informations telles que le nombre de Russes qui ont quitté leur pays depuis l’invasion de l’Ukraine. Seules certitudes : ils sont des centaines de milliers et souvent très diplômés.

Profils tech, investisseurs, universitaires : l’heure de l’exode

Parmi les principaux exilés, les spécialistes de la tech au sens large : informaticiens, programmateurs, spécialistes de l’IA, Ux-designer… Dotés de compétences recherchées dans tous les pays, capables de travailler à distance, bien souvent polyglottes, ils sont surreprésentés parmi la diaspora. En mai 2022, l’association russe des communications électroniques a estimé qu’entre 50 000 et 70 000 d’entre eux sont partis vivre à l’étranger soit 10% des travailleurs du secteur. L’annonce de la mobilisation partielle a probablement fait augmenter le nombre.

Autre coup dur pour l’économie, en plus du départ des investisseurs étrangers, les investisseurs locaux prennent la poudre d’escampette. Entre février et juin 2022, le cabinet Henley & Partners estime que 15% des millionnaires russes sont partis, beaucoup d’entre eux étant entrepreneurs et investisseurs. Comme pour les geeks, la proportion est sous-estimée et la mobilisation a accéléré la tendance.

Les intellectuels, artistes, journalistes, universitaires ont eux aussi été poussés à traverser les frontières du pays le plus étendu du globe, privant la société de profils capables de réfléchir, inventer, innover. Ainsi, une trentaine de journalistes du quotidien Novaïa Gazeta se sont implantés en Lettonie. La presse regorge d’articles présentant des membres de l’intelligentsia partis avec QI et bagages en Occident ou dans les anciennes Républiques soviétiques telles que la Géorgie, l’Arménie ou le Kazakhstan.

De fin février à mai, 10% des salariés de la tech auraient quitté le pays

Optimisme de façade

D’un côté, le départ d’opposants potentiels au régime est une bonne chose pour Vladimir Poutine qui a de moins en moins à craindre une opposition libérale, influente et structurée. De l’autre, des conséquences économiques à moyen terme sont à craindre. Quel avenir pour un pays qui perd ses intellectuels, ses investisseurs et ses profils ultra-qualifiés ? Pour le moment le gouvernement ne sait pas sur quel pied danser et oscille entre joie, déni et crainte de déclassement.

Dans un discours prononcé le 16 mars, Vladimir Poutine avait laissé entendre que le départ de « traîtres » comparés à des "moucherons" était une bonne chose : "Je suis convaincu que cette purification naturelle est nécessaire pour la société et ne pourra que renforcer notre pays." Selon lui, la Russie peut se développer malgré les sanctions et les départs. Départs par ailleurs souvent niés. Ainsi, malgré toutes les évidences, le porte-parole du Kremlin Dimitri Peskov affirme que les investisseurs et les millionnaires n’ont pas quitté la Russie.

Panique à bord

En réalité, la situation est grave et les autorités commencent à réagir. Cet été, le ministère de la Justice a entamé des poursuites contre l’Agence juive, notamment pour "collecte illégale d’informations sur les citoyens russes". D’ici cet automne, l’organisme chargé d’organiser l’Alya (accueil en Israël des étrangers éligibles à la nationalité de l’État hébreu) pourrait être interdit. Il est vrai que l’Agence juive contribue à la fuite des cerveaux. Sur les quatre premiers mois du conflit, 50 000 ressortissants russes ont été accueillis en Israël. Un chiffre très élevé dans la mesure où 600 000 Russes sont éligibles à l’Alya. Or, cette partie de la population est souvent plus diplômée que la moyenne.

Depuis l’annonce de la mobilisation partielle, le gouvernement a également donné des gages à certains diplômés tentés par le départ : exemption de service militaire pour les personnes étudiant des matières telles que les mathématiques, la robotique, l’aéronautique, les nanotechnologies. Enfin, les moins de 27 ans qui ont déjà travaillé un an dans la tech ne paieront pas d’impôts au moins jusqu’en 2024.

Lucas Jakubowicz

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