Sardine Ruisseau a disparu de Twitter, la fin des comptes parodiques ?
Personnage fictif de Twitter à la célébrité établie, Sardine Ruisseau, compte parodique de la députée EELV de Paris Sandrine Rousseau, a disparu du réseau social le 21 juillet dans l’après-midi. Départ volontaire ? Départ subi ? L'avenir le dira. Pour certains internautes, c'est une tragédie, pour d'autres, c'est une victoire.
Du côté gauche de l’échiquier politique, de nombreux responsables saluent cette "mort numérique". Ainsi, la sénatrice EELV des Français de l’étranger Mélanie Vogel a vilipendé un « compte de la fachosphère qui pratique le cyberharcèlement et la violence en ligne ». Même son de cloche du côté de Marie-Charlotte Garin députée écologiste du Rhône qui estime que ce compte "cyber harcèle" "banalise" et "légitime une violence déjà trop souvent laissée impunie". La principale intéressée, Sandrine Rousseau, a pour sa part, déploré à plusieurs reprises les propos sexistes et xénophobes de son double, tout en considérant qu’il contribuait au cyberharcèlement dont elle est victime.
Sardine Rousseau est-elle d’extrême droite ? La soutenir et rire à ses blagues comme le font certains députés centristes comme le macroniste Stéphane Vojetta, député des Français de l’étranger, est-il une preuve d’allégeance à la fachosphère ? Les choses semblent plus compliquées…
Des symboles de la nouvelle fachosphère
Reconnaissons tout d'abord que Sardine Ruisseau et les dizaines d'autres comptes anonymes tapis dans l’ombre reprennent de nombreux codes de la "nouvelle extrême droite". Ainsi, des symboles prisés par les milieux identitaires reviennent souvent dans les posts. Citons pêle-mêle Pépé la grenouille de la honte (l’une des mascottes de la droite populiste américaine) ou encore la fameuse figure de "Karim" incarnation du grand remplacement et de l’échec de l’intégration à la française. Par ailleurs, la petite phrase récurrente "les heures les plus sombres de notre histoire", prisée des fans de Dieudonné et d'Alain Soral est très présente dans les posts.
Plusieurs trolls contactés confirment que quelque uns penchent clairement très très à droite : "J’ai des « collègues » qui trouvent Marine Le Pen trop à gauche et qui assument un éventuel vote Zemmour, mais je ne suis pas en mesure de savoir s’ils travaillent pour lui", explique Docteur Pépé qui se présente comme un cadre du secteur privé de 26 ans qui a arrêté de voter depuis 2017. Si certains comptes semblent associés à cette mouvance, ils incarnent une nouvelle vague bien éloignée de ceux que Sardine Ruisseau, contactée par Décideurs qualifie "de patriotes jambon-beurre plus âgés". L’heure est désormais à la recherche de "la viralité de la réaction et du repartage". Terminés les pseudos "traditionnels". Les couleurs nationales et les pseudonymes fleurant bon l’Action française sont remisés au placard. Ainsi, Docteur Pépé reconnait que "Coline ou Eglantine ont été baptisées ainsi car on sait que les bobos gauchistes adorent les prénoms qui se terminent par ine".
Cadres désabusés
Prudence toutefois, les trolls ne se présentent pas tous comme des soutiens de l’extrême droite. Certes, Docteur Pépé semble flirter avec le complotisme, notamment lorsqu’il explique au détour d'une interview accordée à Décideurs que "les élections ne servent à rien puisque tout se décide dans les Loges maçonniques". En revanche, il l’affirme, la mouvance est diverse et anarchique : "Nous ne nous connaissons pas de visu mais sommes habitués à échanger sur Twitter ou Gab. Le profil sociologique est le suivant : 90% d’hommes, plutôt CSP+, pour certains pas politisés et cyniques." Un diagnostic partagé par Coline-Eglantine, qui se définit comme un cadre de 35 ans père de deux enfants : "On est majoritairement des trentenaires désabusés, on en a marre de la politique, on ne croit plus dans ces charlatans."
Zemmouriens, cyniques, nihilistes, identitaires... Les trolls sont l'incarnation de la diversité !
Selon lui, la tribu se divise en deux catégories : les militants et les autres qui ne se privent pas de se moquer des "patriobeaufs". Les trolls interrogés le confirment, ils ne forment pas un clan uni, échangent entre eux et ne se coordonnent pas même si, à la longue, ils adoptent des références communes.
"On veut faire monter notre Queen Sandrine"
Cela dit, un projet semble faire l’unanimité : "On veut faire monter notre Queen Sandrine Rousseau au sommet. Si aujourd’hui elle est deuxième à la primaire d’EELV, c’est parce que l’on a œuvré en ce sens", expose le serial twittos qui soutient que les comptes parodiques auraient contribué à inviter de faux électeurs à la primaire EELV pour faire gagner leur "idole" qualifiée au second tour avec 2 000 voix d’avance. Si, pour certains, il s’agit de "se marrer" et de "ridiculiser le wokisme aux yeux du plus grand nombre", pour d’autres, l’objectif était de plomber la candidature EELV, d’enfermer la gauche dans une niche et de créer une contre-offensive réac. Impossible toutefois d’établir leur influence réelle sur le scrutin. Toujours est-il que Yannick Jadot n'est pas parvenu à attirer un électorat modéré au premier tour, en témoigne son score de 4,8%.
"Parfois, nos cibles vont plus loin que nos parodies !"
Arme de dérision massive
Pour pointer les dérives des leaders woke et intersectionnels, les trolls ont trouvé la martingale : l’humour et la dérision. "Le discours et les prises de position sont une mine d’or. Parfois, ils vont plus loin que ce que l’on pense parodier", se délecte Docteur Pépé. Il est vrai que l’écriture inclusive, les termes parfois théoriquement abscons (co-construction, corps racisés, concerné.e.s, gender fluid…) sont une source d’inspiration inépuisable. Ajoutons que, stratégiquement, il est plus rentable d’utiliser la carte de la parodie que celle de la confrontation. Cette technique permet d’éviter à leurs cibles de s’auto-victimiser tout en les enfermant dans une caricature permanente. L’idéal pour décrédibiliser et mettre l’idéologie de la nouvelle gauche devant ses contradictions. En bref, pour reprendre un terme prisé de leur Queen, les trolls semblent avoir trouvé la formule gagnante pour mener à bien un travail de "déconstruction". Pas du patriarcat mais d’une idéologie qu’ils exècrent !
Lucas Jakubowicz