EELV, à l’assaut de la France périphérique
C’est un cliché qui colle à la peau des écologistes français : ils seraient avant tout des urbains surdiplômés déconnectés des classes populaires et moyennes. Leurs passions ? Construire des pistes cyclables et des cours de récréation non-genrées, bannir les sapins de Noël et la viande, défendre l’intersectionnalité des luttes, quitte à promouvoir l’islamisme politique, ou encore pousser à la sobriété ceux qui se serrent déjà la ceinture. Des idées défendues en écriture inclusive bien sûr ! Ce positionnement permet de s’implanter dans plusieurs grandes villes, comme le prouvent les dernières municipales. En revanche, pour séduire le reste du territoire, c’est une autre paire de manches. Les 4,63% récoltés par Yannick Jadot au premier tour de la dernière présidentielle en sont la preuve. Oui mais voilà. Désormais, EELV fait partie de la Nupes, ce qui lui donne droit à 70 circonscriptions, dont certaines bien éloignées du "biotope" dans lequel les Verts sont habitués à évoluer. Dans ces terres de conquête, les écolos doivent répondre à un sacré défi : s’adapter au terrain sans se renier. Une mission à laquelle quelques jeunes candidates s’attellent avec passion.
La carte du cru
Leur principal atout ? Connaissance du territoire et ancrage local. Marie Pochon, avocate lyonnaise, coordinatrice générale de l’association Notre Affaire à Tous a obtenu une certaine notoriété nationale en parvenant à faire condamner l’État pour "inaction climatique". Mais, candidate dans la très rurale troisième circonscription de la Drôme, elle met surtout en lumière ses racines locales. Son clip de campagne commence d’ailleurs par la phrase suivante : "Fille de la Drôme, fille de vignerons, attachée à ma terre". Il en est de même de Lumir Lapray. Diplômée de Sciences Po, passée par les campus américains, la militante aurait pu rester dans le confort douillet d’une grande métropole. Elle porte pourtant les couleurs de la Nupes sur sa terre natale située dans la seconde circonscription de l’Ain, dont une grande partie est composée de la banlieue pavillonnaire de Lyon réputée voter à droite.
"Fille de la Drôme, fille de vignerons, attachée à ma terre". Marie Pochon met en avant son ancrage territorial.
Autre exemple, celui de Julia Mignacca militante EELV et candidate dans la troisième circonscription de l’Hérault où la macroniste Coralie Dubost ne se représente pas. "Ici, c’est chez moi confie la trentenaire qui décrit sa terre d’élection comme diverse avec une petite partie à Montpellier, une petite partie plus rurale qui touche le Gard et de nombreuses communes péri-urbaines". Plus proche de Paris, la militante Pauline Rapilly-Ferniot se présente sur une zone plus urbaine mais à évangéliser : Boulogne-Billancourt, "un lieu à la fois bourgeois mais avec un riche héritage ouvrier lié aux usines Renault".
Enjeux locaux
Alors que les Verts sont mondialistes et pro-européens, les candidates se centrent sur les enjeux locaux avec un prisme écologique. "Ma circonscription est très touchée par la sécheresse, est en première ligne face au changement climatique", explique Julia Mignacca qui observe que sur son territoire propice aux Gilets jaunes, les habitants sont nombreux à parler de la hausse du prix de l’essence, du coût de la vie. "L’occasion parfaite de convoquer l’écologie en expliquant les erreurs faites en misant sur le tout voiture, en fermant les trains locaux. En somme, je cherche à incarner l’écologie populaire du quotidien". Parmi les autres sujets évoqués : l’artificialisation des sols ou l’urbanisation galopante qui rogne les terres agricoles.
"J'évite l'écriture inclusive, ça parle à peu de monde"
Afin de faire passer ses idées, la candidate spécialiste des énergies renouvelables se met au diapason des électeurs d’un sud ou l’extrême droite reste forte même si elle reste cantonnée à la moyenne nationale : "Je ne mentionne pas les questions sociétales qui peuvent faire polémique". Ce n’est donc pas elle qui va défendre le burkini dans ses tracts où elle "évite l’écriture inclusive car elle parle à peu de monde".
Dans l’Ain, Lumir Lapray respecte le même équilibre : promouvoir des idées écologiques et de gauche mais avec des méthodes adaptées au contexte local. Le journaliste Jean-Laurent Cassely l’a suivie dans sa campagne et en a tiré un reportage publié dans Le Monde. Elle y détaille sa technique rhétorique et sa stratégie: "Je ne dis pas qu’il faut taxer les riches car chez nous, un riche c’est le tonton qui a monté une PME, travaille tout le temps et est submergé de paperasse. Donc je parle plutôt de multimillionnaires (…). Si être écolo c’est uniquement prendre son vélo, ne pas manger de viande et s’habiller en Quechua, les jeunes périurbains et ruraux ne pourront jamais s’identifier à ce modèle".
Il s'agit d'incarner une écologie joyeuse et positive
En somme il s’agit d’incarner une écologie joyeuse, positive. Une technique que Pauline Rapilly-Ferniot maîtrise à merveille. Cette experte en flash mob à l’origine du collectif Ibiza (pour dénoncer la politique éducative de Jean-Michel Blanquer, notamment à l’aide d’un sosie), sillonne sa circonscription au volant d’une 4L produite à "Boulbi". "Un bon moyen d’aider les citoyens à connaître l’histoire de leur ville, à assumer son passé ouvrier, à comprendre qu’il est possible de changer de modèle économique".
Ne pas se renier
Candidates dans des lieux de conquête, Pauline Rapilly-Ferniot, Marie Pochon, Lumir Lapray ou Julia Mignacca adoptent des techniques peu en vogue dans les états-majors parisiens, elles assument pourtant leur position résolument à gauche. "Les électeurs connaissent nos valeurs, à nous d’évangéliser ceux qui ne pensent pas comme nous mais peuvent nous retrouver sur l’essentiel", résume la boulonnaise. Comme le note Julia Mignacca, "nous défendons le programme de la Nupes quand même !". Si la situation semble difficile pour Pauline Rapilly-Ferniot ou Lumir Lapray qui ne partent pas favorites, Julia Mignacca et Marie Pochon peuvent l’emporter. Et faire partie d’une espèce peu connue : celle des Verts élus en dehors des grandes villes prospères.
Lucas Jakubowicz